InFOrmation syndicale

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03 janvier 2013

«LA CROISSANCE DU NOMBRE DE CADRES S’EST TRADUITE PAR UN RENFORCEMENT DES INÉGALITÉS.»

Le mal-être des cadres fait la une depuis une bonne douzaine d’années. Pas celui des cadres dirigeants, mais des cadres encadrants et des cadres experts ou producteurs, qui subissent dorénavant le lot commun des autres salariés. 

Secrétaire général de FO Cadres, Éric Pérès constate des évolutions alarmantes, mais pour lui les cadres ont les cartes en main.

FO Hebdo: Le sociologue François Dupuy, dans son livre La Fatigue des élites, parle, concernant les cadres, de «déprotection» liée aux organisations qui définissent les conditions de travail.

Éric Pérès: Oui, cela va de pair avec la remise en cause des systèmes de protection sociale. Au niveau de l’entreprise les repères comme les garanties collectives s’érodent. L’individualisation prévaut, les contraintes organisationnelles se renforcent et les conditions de travail empirent. On change de paradigme. On passe d’une sécurisation des salariés via le contrat de travail et les garanties collectives –le compromis fordiste–, les dirigeants assumant 100% des risques en échange de la force de travail, vers une sécurisation des actionnaires et des hauts dirigeants accompagnée d’un transfert des risques vers les salariés. Le cadre est alors le seul responsable, face à la pression plus forte qu’exerce la relation-client. Le néolibéralisme nous dirige vers un nouvel «entreprenariat de soi» où le salarié est transformé en centre de profit. Seul et responsable de tout. L’actuel projet de texte patronal dans le cadre des négociations sur l’emploi en est la parfaite illustration.

FO Hebdo: Les cadres semblent avoir perdu progressivement une bonne partie de leurs acquis et en vingt ans, avance François Dupuy, la différence de traitement entre un cadre et un ouvrier qualifié est passée de 5 à 2,2. Comment expliquez-vous cela?

Éric Pérès: D’abord les cadres n’ont pas été épargnés par la faiblesse des politiques salariales. Ensuite la croissance de leur effectif n’a pas joué en leur faveur et s’est traduite par un renforcement des inégalités salariales, plus forte chez les femmes. Leurs missions traditionnelles se sont également appauvries, au profit notamment d’une professionnalisation de la fonction RH et d’une rationalisation des process. Enfin, la promotion de l’individualisation de leurs rémunérations les a exclus des augmentations collectives. Sans oublier la croissance du nombre de chômeurs, 500 000 en 2013 si rien ne change. Deux fois plus qu’en 2007. Une rationalisation économique qui accompagne une précarisation de l’encadrement.

FO Hebdo: L’identité même des cadres semble remise en cause puisqu’ils se sentent de moins en moins proches de leurs instances dirigeantes, qu’ils éprouvent moins d’attachement vis-à-vis de leur entreprise, que leur statut est largement dégradé et que leur réserve traditionnelle envers l’action collective se lève.

Éric Pérès: Absolument. La dégradation de leurs conditions de travail, la rupture du contrat de confiance ont précipité ce mouvement de désenchantement. Le client, icône du management moderne, est une contrainte permanente pour les organisations de travail; il faut alors être réactif et performant dans l’impermanence et l’incertitude quotidiennes, et trouver dans le même temps les ressorts de la coopération avec les «structures matricielles», et les «fonctionnements en projets». Une source inépuisable de stress et de pression. Aussi les cadres n’adhèrent plus aussi aisément aux discours managériaux. La perte de sens, le manque de reconnaissance professionnelle et les pressions managériales ont eu raison de leur engagement. Face à cela une «contre-culture» émerge lentement, allant du simple repli sur soi au désengagement en passant par l’action syndicale comme critique de l’organisation du travail. D’autres, malheureusement, consommeront des psychotropes pour «faire face», voire, dans le pire des cas, mettront tragiquement fin à leurs jours.

FO Hebdo: Le sociologue Jean-Philippe Bouilloud parle en particulier du changement permanent qui affecte les entreprises, de l’accélération qui s’ensuit, de la complexité organisationnelle qui s’y ajoute, et conclut au fond sur une impossibilité de penser de telles organisations et donc de diriger réellement. Qu’en pensez-vous? La perte de contrôle de l’entreprise par ses propres dirigeants n’est-elle pas inquiétante pour l’avenir?

Éric Pérès: En effet car dans ces conditions, comment voulez-vous mettre les salariés en situation de réussir, d’innover et de créer, quand il n’y a aucune place pour l’erreur, que la tyrannie du court terme règne sans partage et que le retour sur investissement des actifs financiers dans des proportions surréalistes résume tout projet d’entreprise? Dans une entreprise, si l’on n’est pas capable de gérer avec un minimum de dialogue, de savoir et de bon sens, il est difficile de penser les évolutions organisationnelles. Les salariés, cadres ou pas, ne se résument ni se réduisent à des chiffres et des données statistiques. Dans un avenir très proche les entreprises vont devoir recruter des cadres, des ingénieurs et des techniciens hautement qualifiés. Les employeurs devront alors évoluer pour pouvoir les recruter sans difficulté, les fidéliser et les accompagner dans leur évolution professionnelle. La logique purement financière et comptable est autodestructrice. Sans un retour à la logique «de métier», de projet économique porteur de sens, d’innovation et de création autour d’un mieux-vivre au travail et d’un équilibre contribution-rétribution, il sera difficile de penser la compétitivité de demain.
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Article paru dans FO Hebdo n°3056-3057