InFOrmation syndicale

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08 avril 2013

LA FRANCE A-T-ELLE RÉUSSI SA RÉFORME DU MARCHÉ DU TRAVAIL?


Alors que le Parlement s'apprête à examiner «l'accord emploi», signé par la CFDT et combattu par FO, les leaders respectifs des deux centrales syndicales, Laurent Berger et Jean-Claude Mailly, confrontent leurs arguments. 




L'accord sur la sécurisation de l'emploi est-il une réponse à la crise sociale que traverse le pays? 

Laurent Berger. C'est une réponse sur l'emploi. Il ne remplace pas la politique de croissance et la politique industrielle qui manquent aujourd'hui. Mais il apporte des droits nouveaux aux salariés précaires. Il permet aussi un changement de logique dans les entreprises, en donnant plus de place au dialogue social face aux aléas conjoncturels, au lieu des suppressions d'emplois quasi systématiques que l'on connaît depuis 2008.

Jean-Claude Mailly. Cet accord doit être resitué dans un contexte plus global. Depuis que le gouvernement a accepté le traité budgétaire européen, nous sommes dans une politique de rigueur, où les variables d'ajustement sont les dépenses publiques et le social. Nous y sommes opposés. Cette analyse permet de comprendre notre positionnement. Et il y a bien sûr le contenu de l'accord lui-même, très déséquilibré: la flexibilité, c'est maintenant, et les nouveaux droits, c'est demain, peut-être.


FO critique les accords de maintien dans l'emploi que ce texte consacre. Pourtant, il en signe dans les entreprises... 

J.-C.M. Bien sûr. Nous avons été moteurs dans plusieurs accords de ce type, à PSA Sevelnord ou à Renault, par exemple. Je n'ai rien à y redire. Mais, jusqu'ici, quand dix salariés ou plus refusaient les dispositions d'un de ces accords, la direction de l'entreprise devait lancer un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE). Pour les syndicats, c'était une arme dans la négociation. La preuve: l'un des objectifs du patronat était de faire sauter cette obligation. Et il l'a obtenu.

L.B. Sur ce point, on peut aussi se dire qu'il n'y a presque jamais eu de PSE lié au refus des salariés après un accord de maintien dans l'emploi. De façon plus générale, nous avons voulu encadrer ces accords pour ne plus laisser les équipes syndicales se débrouiller sur le terrain. Ils seront donc à durée déterminée, deux ans au maximum, sur la base d'un diagnostic économique de difficultés conjoncturelles, avec une clause de retour à meilleure fortune. Surtout, cette souplesse - comme tout le "paquet souplesse" de l'accord national - est encadrée par la nécessité pour l'employeur d'obtenir l'aval de syndicats représentant au moins 50% du personnel.

J.-C.M. Nous avons là un désaccord de fond, et depuis longtemps. Nous sommes contre ces accords à 50%, car ils permettent un glissement de la négociation de branche vers les accords d'entreprise, comme dans les pays anglo-saxons. Or une des forces du système français, c'est l'articulation des différents niveaux. Demain, sur d'autres sujets, on dira "c'est démocratique, c'est 50%" - y compris quand il s'agira de déroger au Code du travail. En outre, les accords de maintien de l'emploi, dans ce nouveau cadre, risquent d'aller plus facilement vers des baisses de salaires, et non plus seulement vers la modération salariale ou l'organisation de la durée du travail.

L.B. Les baisses de salaires sont déjà possibles, mais les équipes syndicales ne vont jamais dans cette direction-là. Et même en cas d'accord majoritaire, on ne pourra pas aller en deçà des conventions collectives, notamment sur les rémunérations.

J.-C.M. Ce n'est pas le seul sujet. Demain, avec cet accord, les délais durant lesquels les salariés pourront saisir les prud'hommes passeront de cinq à deux ans seulement!


Pourquoi la CFDT a-t-elle accepté une réforme de la procédure des plans de sauvegarde de l'emploi? 

L.B. Pour donner, là aussi, plus de poids au dialogue social. J'ai vu trop de PSE où repousser les délais de quelques mois semblait une victoire. Au bout du compte, les reclassements et les indemnités sont rarement meilleurs. Là, les équipes négocieront toujours dans le cadre d'un accord majoritaire, et on pense qu'elles pourront obtenir plus. Si les négociations n'aboutissent pas, les syndicats saisiront l'administration du travail en lui demandant de ne pas valider le plan unilatéral que la direction lui présentera pour homologation.

J.-C.M. Sauf que le délai dans lequel un PSE peut être bouclé est très raccourci! C'était l'autre point clé pour le Medef, qui a aussi obtenu gain de cause. Par ailleurs, les services de l'Etat auront peu de temps pour se prononcer: vingt et un jours en cas de plan unilatéral, sachant qu'une absence de réponse vaudra validation. Quand on voit leur engorgement, on sait qu'ils n'y arriveront pas...

L.B. Effectivement, j'ai dit au ministre du Travail qu'il faut des moyens supplémentaires.

J.-C.M. Et il a répondu que c'était impossible!

L.B. Non! Tout dépend aussi de l'orientation donnée à ces services. Les inspecteurs du travail pourraient faire plus de contrôle et moins de paperasse.


L'accord est muet sur les licenciements boursiers et sur la reprise des sites rentables... 

L.B. Je ne vois pas une équipe syndicale discuter d'un PSE dont le motif économique ne serait pas justifié. Leur information sera renforcée, ce qui permettra de vérifier la réalité de la situation. Et ils pourront alerter l'administration sur l'absence de motif économique. Sur tous ces points, la pratique syndicale dans les entreprises sera vraiment déterminante. Sur la reprise des sites rentables, c'est au gouvernement de légiférer.

J.-C.M. Nous avions des propositions sur ce sujet. Un, accroître les coûts de revitalisation à la charge des entreprises. Deux, au lieu d'obliger à vendre - ce qui serait compliqué juridiquement -, passer par une nationalisation temporaire. Dans l'Eure, le conseil général a racheté un site et l'a revendu très vite.

L.B. D'accord pour alourdir le coût des licenciements ou celui de la revitalisation. Nous n'écartons pas non plus par principe les nationalisations temporaires. Mais il faut un projet industriel, un repreneur potentiel: l'Etat n'a pas vocation à reprendre toutes les entreprises...


FO critique aussi le volet "droits nouveaux" de l'accord. La taxation des contrats précaires faisait pourtant partie de vos revendications...

J.-C.M. Nous avons lancé cette idée dès 2004: nous prônions un système de bonus-malus pénalisant les entreprises où les CDD et l'intérim dépassent 20% des effectifs. Là, on laisse de côté l'intérim, et la taxe sur les CDD représente à peine 40 euros par mois au niveau du smic... Même la présidente du Medef dit que c'est peu.

L.B. On a mis neuf ans pour mettre le pied dans la porte sur ce sujet! Alors, oui, c'est un compromis - qui ne correspond pas à nos propositions de départ. Mais la nouvelle taxe représente une hausse de 75% des cotisations de chômage. Laurence Parisot doit vendre l'accord à ses troupes, il est normal qu'elle minimise. Quant à l'intérim, il fait l'objet d'une autre négociation. Si elle n'aboutit pas, il sera aussi taxé.

J.-C.M. Ce "CDI intérimaire" en discussion est aussi un sujet de désaccord. Nous nous étions déjà battus contre l'ancien gouvernement pour qu'il ne sorte pas. Autre point: les temps partiels. A priori, un minimum de vingt-quatre heures hebdomadaires, c'est bien. Mais il suffit d'une demande écrite du salarié pour y déroger! De même, l'idée des "droits rechargeables" à l'assurance-chômage est louable: les chômeurs pourront reprendre un emploi, même temporaire, sans perdre leur reliquat d'indemnisation. Mais l'accord précise que cette réforme ne doit pas creuser le déficit de l'Unédic. Or un tel système coûte forcément.

L.B. Ce n'est pas notre analyse: il y aura un effet incitatif à la reprise d'emploi. Les chômeurs pourront se réinsérer plus vite, et leur durée d'indemnisation sera réduite, car ils seront de nouveau en emploi.

J.-C.M. Il y a aussi un vrai risque de voir un boom des contrats précaires, sur le thème "Prenez-le, ce CDD de quinze jours, puisque vous ne perdrez pas votre indemnisation".

L.B. C'est un risque. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas créer de nouveaux droits.


La croissance étant atone, ces droits risquent quand même d'être coûteux. Comment, dans ces conditions, redresser les comptes de l'Unédic? 

L.B. Il est hors de question de réduire l'indemnisation des chômeurs. Peut-être faudra-t-il donc accroître les ressources. Nous aurons aussi des propositions pour les intermittents du spectacle, pour qu'une part de leur allocation soit prise en charge par les entreprises du secteur. Mais nous ne voulons pas entrer trop tôt dans cette négociation. Notons juste que l'Unédic n'est pas exsangue, et que ses comptes sont très liés à la conjoncture.

J.-C.M. Nous ne sommes pas pressés non plus d'ouvrir ce dossier. Nous refusons toute baisse des prestations, et nous ferons d'autres propositions, notamment pour mettre un terme aux situations de "fausse intermittence" dans des entreprises qui n'ont rien à voir avec le secteur du spectacle.


Qu'attendez-vous de l'examen au Parlement du texte reprenant l'accord emploi? 

J.-C.M. Certains voudraient que ce soit l'"accord et rien que l'accord". C'est impossible. Pour une question de principe: ce sont les députés et les sénateurs qui votent les lois.

L.B. Nous ne demandons pas aux élus de faire du copier-coller. Et nous avons dit que les non-signataires devaient être entendus. Mais la majorité a décidé de faire de la place à la démocratie sociale: qu'elle respecte la méthode sur laquelle elle s'est engagée! Si elle revient sur l'accord, il ne faudra plus compter sur nous pour négocier... En même temps, il y a certainement des éléments qui peuvent être précisés sans remettre en cause l'esprit du texte.

J.-C.M. Des points ont déjà bougé dans le projet de loi. Ainsi sur la complémentaire santé d'entreprise. Aujourd'hui, les prestataires retenus au niveau des branches s'imposent à toutes les entreprises du secteur. Ces clauses de désignation sont un moyen de mutualiser et de négocier les tarifs. Dans l'accord, il ne s'agissait plus que de "recommandations". Nous l'avons signalé, et ces clauses de désignation ont été réintroduites. De même, en matière de mobilité, l'accord prévoyait un licenciement pour motif personnel pour les salariés qui l'auraient refusée. Cela n'était pas conforme aux règles de l'Organisation internationale du travail et le projet de loi a été rectifié pour retenir le licenciement économique. Ce ne sont pas là de simples "précisions"!


Vos divergences sont-elles le signe d'une bipolarisation de la vie syndicale? 

J.-C.M. Deux des trois grands syndicats ne signent pas: oui, il y a là une divergence forte. Mais je ne crois pas à la bipolarisation: un tabouret avec deux pieds ne tient pas debout. Entre la CFDT et FO, il y a une différence historique de conception du syndicalisme dont je vois mal comment elle s'effacerait. Nous avons aussi des différends avec la CGT. Ensuite, sur tel dossier, vous trouvez deux organisations, et puis sur un autre cela peut bouger.

L.B. Effectivement, parfois nous signons des accords ensemble, parfois non. Mais là, sur un texte essentiel, il y a une vraie coupure. Elle est sans doute plus forte avec la CGT, mais que FO et la CGT manifestent ensemble n'est pas neutre.


Le débat sur les retraites sera-t-il un autre sujet de crispation? 

L.B. Mon souci du moment, c'est que le gouvernement ne se planque pas derrière les décisions des partenaires sociaux sur les retraites complémentaires pour prendre des mesures similaires dans le régime général. Au-delà, nous pensons toujours qu'il faut remettre le système à plat, mais la CFDT n'a pas vocation à porter seule cette réforme.

J.-C.M. Nos désaccords sur les retraites ne sont pas nouveaux. Nous sommes toujours contre une réforme systémique. Mais, à plus court terme, il faut bien sûr distinguer le dossier des retraites complémentaires de celui du régime général: en désindexant les retraites de base, on pénaliserait beaucoup trop les retraités modestes. Au-delà, j'attends de voir si le président va se prononcer pour un recul de l'âge de départ ou pour une hausse de la durée de cotisation. Si c'est le cas, cela va être rock'n'roll!


Vous vous rejoignez pour dénoncer l'austérité... 

L.B. La rigueur va trop loin. Dans les services publics, on est à l'os. Regardez à quel point la situation de l'hôpital public est dégradée. C'est pareil partout, et on nous annonce 10 milliards d'euros d'économies nouvelles.

J.-C.M. L'austérité, c'est suicidaire socialement, économiquement, et peut-être un jour démocratiquement. L'urgence, c'est une vraie réforme de la fiscalité qui réhabilite l'impôt sur le revenu, progressif. Ce grand débat a été escamoté. Au lieu de cela, la modernisation de l'action publique a remplacé la révision générale des politiques publiques, mais seul le nom a changé...

L.B. Le problème, c'est qu'avant les élections allemandes il sera difficile de bouger quoi que ce soit sur la politique économique menée en Europe.
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Propos recueillis par Stéphanie Benz - publié le 01/04/2013 sur lexpansion.lexpress.fr