Le pouvoir d’achat et les dépenses de consommation ont connu des évolutions historiques en 2012: la consommation des ménages a en effet reculé de 0,4%, dans le rouge pour la première fois depuis 1993 (-0,2%) et seulement pour la deuxième fois depuis l’après-guerre!
Parallèlement, le pouvoir d’achat du revenu disponible des ménages a également baissé de 0,9% et celui par individu [1] (dit par unité de consommation) régresse même plus fortement de 1,5%, soit la chute la plus significative depuis l’année 1984 (-1,9%).
Pour pallier les effets de la modération salariale prolongée sur la consommation (sans oublier la flambée du chômage qui pèse sur la masse salariale globale), le gouvernement choisit une nouvelle fois de contourner la question du pouvoir d’achat et donc la revendication salariale en instaurant une nouvelle modalité de déblocage «exceptionnel» de la participation et de l’intéressement.
La mesure n’est pas originale et figure dans la «boîte à outils» des gouvernements successifs depuis une dizaine d’années dès lors qu’il s’agit de pouvoir d’achat, comme en 2004 et en 2008. Entrée au Parlement mi-mai, la loi n°2013-561 du 28 juin 2013 portant déblocage exceptionnel de la participation et de l’intéressement s’applique au 1er juillet.
En pratique, cette mesure ponctuelle de déblocage s’appliquera aux sommes issues de la participation et de l’intéressement placées sous forme d’épargne salariale (compte courant bloqué, PEE, PEG, PEI), dans la limite de 20 000 euros. Les fonds épargnés dans le cadre d’un Perco tout comme les sommes affectées à des fonds solidaires sont en revanche exclus du déblocage. De même, les sommes placées sous forme d’épargne salariale provenant d’autres sources que ces deux dispositifs (versements volontaires, abondement) n’entrent a priori pas dans le périmètre des fonds déblocables par les salariés.
Le déblocage est ouvert pendant une période de six mois, du 1er juillet au 31 décembre 2013, sur simple demande du salarié ou après conclusion d’un accord collectif. Les fonds ainsi débloqués bénéficient des mêmes exonérations fiscales et sociales accordées du fait de leur blocage.
A noter, une innovation législative qui a de quoi laisser perplexe: afin de réaliser l’objectif assigné au déblocage, le texte introduit une obligation de conserver les reçus et les factures correspondant aux achats effectués avec les sommes retirées. Ce fléchage des fonds débloqués vers «l’achat d’un ou plusieurs biens, en particulier dans le secteur automobile, ou la fourniture d’une ou plusieurs prestations de services» a été ajouté pour décourager les transferts entre supports d’épargne observés lors des précédents déblocages, au détriment d’une relance de la consommation.
L’ajout du secteur automobile en exemple est lui intervenue au Sénat après une tentative de borner les dépenses éligibles aux seules prestations de services afin de profiter exclusivement à des activités non délocalisables et donc liées au territoire national. Cette mention de l’automobile [2] demeure purement symbolique et non contraignante mais témoigne bien d’une forme de désarroi du législateur face aux effets du commerce international et de la mondialisation libérale…
En théorie, les services fiscaux pourront donc contrôler les pièces justificatives, ce qui signifie implicitement qu’à défaut de leur présentation, l’administration est en droit de soumettre les sommes concernées aux prélèvements sociaux et fiscaux. Toujours dans l’objectif de suivre les effets réels de la mesure, le texte final prévoit au bout d’un an la remise au Parlement d’un rapport du gouvernement dressant un bilan de l’application de la loi. Ce complément signifie en creux que les déblocages précédents n’ont pas atteint leur cible en matière de dynamisation de la consommation, les données d’évaluation étant par ailleurs très partielles [3].
Pour Force Ouvrière, cette mesure ne constitue pas une réponse adéquate à la crise économique et sociale. En effet, elle ne présente aucune plus-value pour les salariés hormis celle de leur permettre de grignoter plus tôt leurs économies et de reporter à plus tard les difficultés financières auxquelles ils auront à faire face.
Il faut par ailleurs rappeler que ces dispositifs ne concernent pas, loin s’en faut, tous les salariés (en 2010, 44,8% des salariés étaient couverts par un accord de participation, 37,3% par un accord d’intéressement et 42% avaient accès à un PEE) et tendent davantage à accentuer les inégalités salariales qu’à les atténuer. Cependant, pour certains salariés aux revenus modestes, il s’agit bien souvent de leur unique source d’épargne.
Si Force Ouvrière demeure très critique envers ce type de dispositifs, c’est aussi en raison des pertes associées aux exonérations de cotisations sociales et d’impôt sur le revenu, constituant un lourd manque à gagner pour la sécurité sociale et les recettes fiscales (respectivement 2,8 milliards et 1,4 milliards en 2012).
La seule vraie réponse à la problématique du pouvoir d’achat reste les augmentations générales de salaires. Par ailleurs, une telle mesure risque d’altérer les négociations salariales dans les entreprises cette année par un effet classique de substitution. Ainsi, nous invitons nos structures à être vigilantes sur l’ouverture des négociations annuelles obligatoires et rappelons que les comités d’entreprise devront être consultés sur la mise en œuvre de ce dispositif dans le cadre de leur compétence générale.
Achever de rédiger le 1er juillet 2013
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[1] Comme il s’agit d’une moyenne, ce chiffre masque naturellement des réalités beaucoup plus dégradées et douloureuses pour un grand nombre de personnes et singulièrement de travailleurs salariés, de retraités et de chômeurs.
[2] Un déblocage exceptionnel de la participation mis en œuvre en juillet 1994 avait à l’époque été conditionné à l’acquisition d’une voiture ou à la réalisation de travaux immobiliers mais il est difficile de savoir si des vérifications avaient été effectuées…
[3] Concernant le déblocage de 2004, sur les 7 milliards sortis de l’épargne salariale, seuls 1,5 à 2,5 milliards auraient alimenté la consommation, le solde ayant été déplacé vers d’autres modes d’épargne tel le livret A.