Article paru dans FO Hebdo n°3045
Les dernières réformes de l’économie décidées par le gouvernement indien sèment la colère.
Plus de 50 millions de travailleurs indiens étaient en grève le 20 septembre et une multitude des minuscules boutiques si caractéristiques du pays, les kiranas, avaient fermé pour la journée à l’appel de plusieurs centrales syndicales et de la CAIT (Confédération syndicale des commerçants indiens). L’ouverture du commerce de détail aux géants étrangers de la grande distribution a mis le feu aux poudres. Et pour cause. Le tissu commercial local –2 millions d’entreprises, la plupart de petite taille– permet aux 40 millions de personnes qu’il emploie d’échapper à l’extrême pauvreté. Les grandes enseignes étrangères pourront acquérir jusqu’à 51% du capital des petits commerces indiens, ce qui en fera les maîtres à bord. Le premier grand groupe à s’être porté candidat, à peine la mesure avait-elle été annoncée, a été le groupe américain Wall Mart, bien connu des syndicalistes du monde entier, y compris dans son pays d’origine, pour ses violations répétées des droits des salariés.
Le gouvernement a également annoncé l’ouverture du capital des médias et du transport aérien aux investissements directs étrangers (à hauteur de 49%), des réductions d’impôts sur les emprunts contractés en devises étrangères par les entreprises indiennes, ainsi qu’une cession au secteur privé de parts importantes d’entreprises publiques comme NALCO (aluminium) ou Oil India (pétrole).
Enfin, le gouvernement indien a annoncé une augmentation de 12% du prix du gazole de façon à pouvoir réduire les subventions publiques, ce qui contribuera à diminuer le déficit budgétaire.
LES PAYS ÉMERGENTS PAYENT AUSSI L’AUSTÉRITÉ EUROPÉENNE
«J’ai besoin de votre soutien pour appliquer les réformes économiques qui sont vitales pour lutter contre le ralentissement économique», a déclaré le Premier ministre, Manmohan Sing, dans une rare intervention télévisée, après la démission de six ministres.
L’Inde, troisième puissance économique d’Asie après le Japon et la Chine et dont la croissance surfait autour de 9% ces dernières années, s’essouffle. Le PIB (Produit intérieur brut) n’a progressé que de 5,5% au deuxième trimestre 2012, soit le taux le plus bas depuis une dizaine d’années. La production manufacturière, qui représente les trois quarts de l’indice de la production industrielle, s’est contractée de 0,2% et la production de biens d’investissement, tels que les machines-outils, indicateur clé de la vigueur des investissements, a diminué de 5% en un an. Enfin, les investissements étrangers ont chuté de 78% entre juin 2011 et juin 2012.
De fait, l’idée que la crise économique mondiale n’aurait pas de conséquences sur les pays émergents s’effondre au vu de la situation indienne. «Le principal champ de bataille de l’économie mondiale, c’est l’Europe et la mise en place de politiques d’austérité qui aggravent la situation [...]. La demande européenne fait grise mine et les pays émergents, actuels moteurs de la croissance mondiale, en font les frais. L’Inde et la Chine ralentissent déjà», analysait l’économiste Detlef Kotte le 12 septembre, lors de la présentation du rapport annuel de la CNUCED* consacré aux inégalités de revenus et aux stratégies de sortie de crise. Visiblement, le gouvernement indien a choisi d’alimenter le cercle vicieux.
* Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement.