Tribune De Jean Claude MAILLY dans le monde 28/08/2013
En vingt ans (1993-2013), les Français ont connu cinq «réformes» des retraites, une sixième est en préparation. A chaque fois, des remises en cause de droits sociaux ont été décidées. Dans ce contexte, comment s’étonner que le dossier des retraites.
Avoir trente ans aujourd’hui, c’est non seulement se demandersi on aura une retraite, mais aussi à quel âge: 68, 69 ans, à terme? Quel espoir ! Quel progrès social !
Defait, deuxfacteursont toujours conditionnéces contre-réformes : réduire les dépenses sociales et montrer aux marchés financiers un courage politique, assimilable à une décision impopulaire.
On expliquera bien sûr que la progression de l’espérance de vie est, certes,un progrès maisun progrès coûteux donc nécessitant des efforts : baisse du niveau des retraites, durcissement des conditions d’obtention, hausse des recettes. Ce dernier levier étant, compétitivité et libéralisme économique obligent, lemoins utilisé.
On oubliera bien entendu, dans ce dossier comme dans d’autres, d’expliquer qu’on ne peut pas prendre de risque vis-à-vis des marchés financiers, qu’on a dû accepter les conditions de la construction européenne, conditionsdestructricespourl’Europeelle-même et pour ses travailleurs, soit, en d’autres termes, que nous n’avons pas le choix. Le dire serait reconnaître officiellement que les gouvernements, issus du suffrage universel, n’ont plus la main, qu’ils subissent plus qu’ils n’impriment. De ce point de vue, ce sont bien lesmécanismes démocratiques qui sont ébranlés et le politique qui perd du crédit.
Arrêtons-nous surunélément-cléde la questiondes retraites: l’âge auquel on peut la prendre. Cette questionaétéaucoeurdescontre- réformesprécédentes,elle l’est encore aujourd’hui. On nous présente l’allongementdeladuréedecotisationcommeinéluctable, puisquedécoulantd’unevéritéquasiscientifique: l’espérance de vie augmentant et alourdissant le coût des retraites, il faut donc travailler plus longtemps. Fermez le ban! Avec de tels raisonnements, on n’aurait jamais construit la Sécurité sociale et le système des retraites. Daniel Mayer (1909-1996), qui fut un grand ministre des affaires sociales,doit se retournerdans sa tombe.
Mais que répondre à la moitié des salariés qui demandent la liquidation de leur retraite et qui ne sont pas en activité parce qu’ils sont au chômage ou en inaptitude? Que répondre à ceux qui, seniors, ont épuisé leur droit à indemnisation et sont condamnés à vivre avec des minima sociaux? Que répondre au fait que l’espérance de vie en bonne santé a diminué d’un an pour les hommes depuis 2008?
Enfin, que dire à la génération 1974, compte tenu d’une entrée de plus en plus tardive sur le marché de l’emploi, qui avait déjà à 30ans trois ans enmoyenne de cotisations en moins que la génération 1950 au même âge (quatre ans pour les ouvriers et les employés, deuxans pour les cadres) ?
Si, de fait, jouer sur l’âge ou la durée de cotisation n’est pas juridiquement la même chose, le résultat est bien dans les deux cas un départ de plus en plus tardif en retraite ou un départ avec décote.
Pierre Mauroy (1928-2013) avait raison en 2010 quand,au Sénat, face à la remise en cause du droit à la retraiteà60ans, il s’écriait : «Onn’apas ledroitd’abolir l’Histoire.» Pendant la campagne présidentielle, François Hollande, le candidat, devenu ensuite président, a entretenu le flou, parlant d’un droit à 60 ans possible soit avec décote, soit pour celles et ceux que l’on range sous la formule « carrière longue » (qui pourront encore partir à 60 ans… au lieu de 62 !). La contre-réforme qui semble se profiler risque donc de donner raison à Karl Marx, qui disait : « L’Histoire n’avance que par son mauvais côté.»
Allonger la durée de cotisation est aussi augmenter la durée du travail. Pour toutes ces raisons, ce ne serait pas un acte de progrès.
Aux jeunes qui cherchent une activité rémunérée, on propose des emplois aidés ou 470 euros par mois. Aux anciens, nombreux, qui sont sans emploi, on demande de travailler plus longtemps! Cela révèle le côté stupide de cette solution.
Au-delà de la question sur l’urgence d’une sixième réforme ou contre-réforme, d’autres thèmes doivent certes être discutés, tant sur les recettes à trouver que sur la distinction entre cotisations et impôts et sur la pénibilité ou sur l’égalité hommes-femmes.
Mais c’est bien la question de l’âge et/ou de la durée qui est depuis vingtans le fil conducteur, outre les remises en cause du taux de remplacement. C’est le marqueur. C’est ce qui fait que ces réformes sont des contre-réformes, c’est ce qui constitue le sparadrap du capitaine Haddock. Comment oser parler de réforme juste quand il s’agit de répondre aux attentes des marchés financiers et aux engagements pris dans le cadre du pacte budgétaire européen?
Unepolitiqueéconomiquederigueuroud’austérité enfante de la régression sociale. Dece point de vue, la «réforme» qui s’annonce est bien partie prenante d’une politique de rigueur, politique de rigueur que l’universitaire français Serge-ChristopheKolm décrivait ainsi en son temps: «Une mouchesur le front, un gourdin pour tuer la mouche, plan de rigueur.»
Faire du social exige une politique économique ambitieuse et différente sur le plan national et européen, pour l’emploi, les salaires et les droits sociaux dontla retraite. Le 10septembre, sur tout le territoire, c’est ce que les salariés diront haut et fort, jeunes et vieux, solidaires.