Interview de Stéphane Lardy, secrétaire confédéral ayant conduit la délégation FO aux deux rencontres syndicats-patronat sur le "pacte de responsabilité ".
Stéphane Lardy : C’est d’abord une vaste entreprise d’enfumage qui a eu lieu mercredi dernier. Nous l’avons déjà dit, nous ne croyons pas au «pacte». Sur le fond, considérer que baisser le coût du travail va permettre de créer de l’emploi est un non-sens économique ! Il suffit de regarder les chiffres. Le patronat nous dit : baissons le coût du travail, nous allons reconstituer nos marges et donc investir et ainsi créer des emplois. Or, si l’on compare sur 20 ans le taux de marge des entreprises et le taux d’investissement, on constate que lorsque le taux de marge augmente, le taux d’investissement, lui, n’augmente pas ! C’est tout simple, les entreprises préfèrent distribuer des dividendes plutôt que d’investir. C’est vraiment ce qui caractérise le capitalisme libéral des 30 dernières années et le capitalisme tout court, il suffit de relire Marx.
Ce dont souffre notre pays et l’ensemble de la zone euro, c’est bien d’une crise de la demande. C’est par le soutien à la consommation des ménages, notamment par l’augmentation des salaires, que l’on va faire repartir la machine économique et donc l’activité des entreprises.
Par conséquent, si l’on revient au «relevé de conclusions», on voit que cela ne vise qu’à faire avaler une logique de régression sociale et ce que j’appelle une logique sacrificielle : on est tous dans le même bateau et tout le monde doit faire des efforts ! Mais, lorsqu’on regarde les quelques 43 milliards d’euros distribués par les entreprises du CAC 40 à leurs actionnaires en 2013, on voit que ce sont les salariés, les demandeurs d’emploi et les retraités qui doivent payer l’addition !
Le pacte de responsabilité c’est bien, et uniquement, un exercice de comm. D’ailleurs, dès le lendemain, Pierre Gattaz, le président du Medef, a fait un grand bras d’honneur aux signataires syndicaux en indiquant devant un parterre de patrons qu’ils pourront continuer à distribuer des dividendes avec en bonus le pactole des 30 milliards d’euro d’exonérations de cotisations sociales sans aucune contrepartie. Le Medef c’est, prends l’oseille et tire-toi !
- L'OS : "Conférences sociales" annuelles prétendues "Grandes", ANI, "Pacte de responsabilité", et la liste n'est sans doute pas close d'ici la fin du quinquennat, l'Elysée est en quête insatiable de l'introuvable "compromis historique" intégrant les organisations syndicales à la politique d'austérité et d'abaissement du coût du travail, et, par delà les "chantiers" du moment, visant l'instauration d'un ordre corporatiste "new look".
Lors du référendum de 1969, le "NON syndical" de la CGT-Force Ouvrière avait été déterminant dans l'échec du projet gaulliste d'institutionnaliser, via des sénateurs et des conseillers régionaux "syndicaux", le corporatisme.
45 ans plus tard, la CGT-FO, en refusant d'apporter sa pierre au "compromis historique" via le "pacte de responsabilité", n'apparaît-elle pas à nouveau, et plus que jamais, comme le "syndicat qui reste un syndicat" et comme le centre de gravité français de l'indépendance syndicale ?
S. Lardy : Pour Force Ouvrière, l’indépendance syndicale ce n’est pas simplement être indépendant des partis politiques ou des églises, c’est aussi une conception particulière des rapports sociaux.
Nous ne sommes pas porteurs de l’intérêt général, ce que veut nous faire assumer le pacte, mais porteurs des intérêts particuliers de la classe ouvrière.
C’est pourquoi nous croyons à la négociation collective et à l’accord collectif, qui est le résultat d’un compromis temporaire entre des intérêts antagonistes.
Lorsque vous lisez attentivement ce qui est écrit, le "pacte" entretient délibérément la confusion entre «relevé de conclusions», accord collectif, débat, réflexions, etc. Pour le patronat et les syndicats signataires tout se vaut. C’est de la soft law, le Code du travail est jeté aux oubliettes. Il n’y a plus de normes contraignantes pour l’employeur et tout tourne autour d’un «dialogue social» anesthésiant qui n’aboutit qu’à taper sur les droits des salariés.
En réalité, lorsque le Président de la République nous renvoie le pacte, c’est bien pour nous faire avaler les politiques d’austérité, les 50 milliards de dépenses publiques en moins. Ne pas cautionner, ne pas être instrumentalisé, c’est notre responsabilité en tant que syndicat libre et indépendant. Il faut noter, mais est-ce un hasard, que le même jour la Commission européenne tançait le gouvernement français en lui demandant d’accélérer sa politique d’austérité !
Tout ceci renforce notre conviction et notre détermination à mobiliser et réussir les manifestations et grèves du 18 mars prochain !
- L'OS : Ainsi qu'évoqué ci-dessus, FO avait dénoncé l'ANI comme un instrument de démantèlement du Code du travail et de liquidation du principe de faveur. Un an grosso-modo après la transposition de l'ANI par le Législateur, peut-on tirer un premier bilan économique et social de cette malnommée "réforme" ?
S. Lardy : Malheureusement, ce que nous disions il y a un an se concrétise : le soi-disant accord de «sécurisation de l’emploi» n’est qu’un sparadrap sur une jambe de bois ! On a facilité les licenciements collectifs en termes de procédure, de délai et de sécurité juridique pour le patronat. On a un gouvernement qui se félicite du nombre de PSE négociés, mais comme Force Ouvrière a pu le dire récemment au Ministre du travail, au bout du bout ce sont des licenciements et des salariés qui se retrouvent à la rue, peu important que le PSE fasse l’objet d’une signature.
Quant aux fameux accords de sauvegarde de l’emploi, seulement trois ont été signés. Cela prouve bien que les entreprises préfèrent passer directement par le PSE. Encore un marché de dupes ! A ce titre, il faut féliciter nos camarades de STX à Saint-Nazaire, qui, par leur combat, en créant un véritable rapport de forces, ont fait échouer le premier accord qui avait été signé par la CFDT.
Le patronat en rajoute d’ailleurs une couche, puisqu’il vient de demander récemment un moratoire sur la mise en œuvre du seuil de 24 heures pour le temps partiel dans les branches, allant même jusqu’à affirmer que si on leur imposait les 24 heures cela aurait des conséquences sur l’emploi ! En gros on signe un accord mais on fait tout pour ne pas le respecter ou le contourner avec à la clef le chantage à l’emploi.
Alors, à Force ouvrière nous gardons notre ligne de conduite : toujours et encore, la sauvegarde des intérêts matériels et moraux des travailleurs. Sans complaisance, ni compromission, avec comme étendard l’indépendance syndicale.
Ni gouvernant, ni législateur, c’est ainsi que l’on évite l’intégration corporatiste.