MST : le rêve d’une fin de vie
Marisol Touraine (MST), en Jeanne d'Arc de l'équilibre des comptes sociaux, intégrés aux comptes publics par la grâce de l’Union européenne, a déclaré que le déficit de la Sécu était ramené à zéro, que le gouvernement avait "sauvé la Sécu".
Dans les faits, le « retour à l’équilibre » a été intégralement effectué sur le dos des assurés : modulation des allocations familiales, déremboursements de soins à hauteur de 4 milliards d’euros, virage « ambulatoire » rejetant les malades hors de l’hôpital, recul de deux ans de l’âge de départ à la retraite et non revalorisation des pensions depuis le 1er avril 2013...
Pour sa part, le patronat n’a jamais supporté la création en 1945 de la sécurité sociale, portée par la formidable mobilisation des travailleurs après-guerre. Il a fait le dos rond, le patronat... Mais, dès qu’il a pu, il s’est appuyé sur ses relais gouvernementaux pour ébranler cet édifice de progrès. L’instauration du ticket modérateur, la remise en cause de l’unité de la Sécu, la fraude patronale aux cotisations ont été les premiers coups de canif. Le gouvernement Rocard a ensuite institutionnalisé la fraude légale : l’exonération patronale et l’instauration d’un nouvel impôt, la CSG. Cette dernière a été introduite en 1991, afin de reporter sur les salariés-contribuables les cadeaux offerts aux patrons.
Malgré la politique antisociale menée par des gouvernements de toutes les couleurs, la Sécurité sociale vit toujours. Elle représente plus de 500 milliards d’euros qui échappent à la cupidité immédiate des multinationales. Car il y a un « mais » : la résistance des salariés et de leurs organisations syndicales.
Les attaques contre la Sécurité sociale ont des répercussions concrètes sur les personnels et les usagers des établissements de soins gérés par l’Union pour la gestion des établissements des caisses d’Assurance maladie (UGECAM). L’interview ci-après permet de mettre l’accent sur la situation de l’établissement Le Bois Rignoux, situé à Vigneux-de-Bretagne, qui dépend de l’UGECAM Bretagne/Pays de la Loire.
A suivre, l'interview de : Nathalie Boisseau, secrétaire-adjointe du syndicat départemental des organismes sociaux 44 ; Le Bois Rignoux, déléguée syndicale de l’établissement ; Aline Alliot, suppléante CE de l’établissement ; Jean-Jacques Le Blay, secrétaire-adjoint du syndicat départemental des organismes sociaux 44.
[Entretien paru dans L'OS n°670]
- Nathalie Boisseau, Secrétaire-adjointe du syndicat départemental FO des Organismes Sociaux 44 - Section UGECAM
- Le Bois Rignoux, Déléguée Syndicale de l’établissement
- Aline Alliot, Suppléante CE de l’établissement
- Jean-Jacques Le Blay, Secrétaire-adjoint du syndicat départemental des Organismes Sociaux 44 - Section Retraités.
Pouvez-vous présenter votre établissement ?
NB - Le Bois Rignoux est un centre de soins de suite, chargé d’accueillir des patients qui ont subi une opération et qui nécessitent encore des soins. Ils peuvent souffrir d’affections du système digestif, métabolique et endocrinien. Beaucoup de nos patients suivent un traitement de cancérologie (chimiothérapie et radiothérapie). Nous avons aussi la particularité d’accueillir des patients en soins palliatifs. Nous les accompagnons jusqu’au décès (plus de 80 par an) ce qui réclame beaucoup de « temps » soignant.
AA - Nous accueillons également les personnes atteintes d’obésité. Cette prise en charge, depuis 2010, n’a pas été accompagnée de moyens humains, au contraire, la politique actuelle serait plutôt revue à la baisse...
JJLB – Les personnels des établissements de soins tel que Le Bois Rignoux relèvent de la la convention collective de la Sécurité sociale. Ce sont donc des établissements de la Sécurité sociale, mais leur gestion économique dépend de l’Agence Régionale de Santé... Les établissements de l’UGECAM ne sont plus gérés de manière paritaire. Il reste des Conseils d’administration, dans lesquels les représentants n’ont pas de pouvoir.
Combien de salariés êtes-vous ?
NB – En 2015, l’établissement comptait 103,8 équivalent temps plein. Il s’agit majoritairement de personnels soignants : des médecins, des infirmières, des aide-soignants, des assistants de service hospitalier (ASH), des kiné... Mais l’établissement compte également des administratifs et des personnels de restauration. Pour ma part, je suis infirmière.
AA - Je suis quant à moi aide-soignante.
Pouvez-vous présenter votre section syndicale ?
NB – La section s’est considérablement renforcée l’année dernière. En février 2015, nous avons été à l’initiative d’une grève à laquelle ont participé la majorité des salariés de l’établissement, y compris la CFDT qui a suivi le mouvement.
Quelles ont été les raisons de la grève ?
AA – En 2015, la direction a voulu changé les plannings des soignants et mettre en place une organisation du travail impliquant de devoir offrir aux patients la même qualité de soin, tout en étant moins nombreux.
NB – Ces nouveaux plannings prévoyaient des «journées blanches», sans horaire précis, avec un délai de prévenance difficilement compatible avec notre vie personnelle... Ce qui bafouait notre convention collective.
Qu’a permis d’obtenir la grève ?
NB – La mise en oeuvre de ces plannings a été repoussée d’un an. Dans ce mouvement, la section FO a redémarré son activité. Cela s’est traduit par nos résultats aux élections professionnelles. En 2010, nous n’étions pas représentatifs. En 2015, nous avons obtenu 50 % et le nombre des adhérents a augmenté.
JJLB – La section est également intervenue sur le dossier des CDD à répétition. Deux collègues ont eu plus de 100 CDD. Nous avons donc menacé la direction d’aller devant les Prud’hommes. Elle a cédé et CDIsé les deux collègues, qui se sont syndiquées.
Depuis, la direction a réactivé ses nouveaux plannings...
NB – Oui, dès octobre 2015, juste après les élections professionnelles. La direction a organisé des groupes de travail, mais les collègues ont refusé d’y participer, malgré la tentative de culpabilisation menée par une élue CFDT.
AA – La direction a également cherché à opposer les catégories de personnels entre elles, notamment les titulaires et les contractuels. Les nouveaux plannings ont pour l’instant été imposés. Le résultat est catastrophique pour les conditions de travail des salariés. Il n’y a plus de répit. Les personnels s’usent. Il y a des burn-out, qui se traduisent par des arrêts de longue maladie. Un cercle vicieux s’instaure, puisque ces collègues sont mal remplacés. Le taux d’absentéisme sur des périodes de plusieurs semaines est très important. Nous avons le même effectif en semaine et le week-end. Nous sommes en sous-effectif permanent. Le personnel en activité tient le coup, mais se fatigue physiquement et psychologiquement.
Que répond la direction dans cette situation?
NB - Elle répond que les arrêts de travail sont liés aux troubles musculo-squelettiques (TMS) et à des problèmes personnels relevant de la vie privée des personnes concernées. Depuis le mois de juin, nous n’avons plus d’intérimaires et souvent pas de remplacement ! La direction nous rejette la responsabilité, en prétendant qu’ils ne peuvent pas évaluer les besoins suite à notre refus de remplir une grille d’évaluation sur la charge de travail !
JJLB – Il s’agit d’une dégradation programmée des conditions de travail, et donc d’accueil des usagers... On sait qu’il y a une volonté de supprimer l’établissement et de le «mutualiser» avec la Tourmaline.
AA – D’ores et déjà, le service de restauration est progressivement fermé pour laisser la place à un sous-traitant. Les personnels concernés ont été envoyés à La Tourmaline, en remplacement de contractuels qui, eux, se retrouvent sans rien...
Quelles sont les répercussions sur les usagers ?
AA – En sous-effectif, le soin des usagers est nécessairement dégradé. Nous sommes obligés de tout faire plus vite, dans l’urgence. Par exemple,nous disposons de moins de temps pour les douches. Comment faire pour donner à manger à quatre patients quand on est seul dans un couloir de 25 ? Il y a de quoi s’inquiéter !
NB – Les patients se rendent évidemment compte des problèmes que nous rencontrons. Mais la direction nous interdit de parler avec eux des problèmes d’effectifs. Elle nous interdit également de parler de ce qui se passe à l’intérieur de l’établissement, en dehors de celui-ci...
Dans cette situation, comment intervient le syndicat ?
NB – La situation permanente de sous-effectif pèse sur l’activité elle-même du syndicat. C’est difficile de prendre les heures de délégation, puisqu’il manque régulièrement du personnel dans les services. Nous avons une marge de manoeuvre étroite. Le transfert de l’établissement est plus ou moins prévu dans les 5 ans à venir à La Tourmaline. La négociation s’annonce rude pour le maintien de tous les postes, pour faire respecter notre convention collective et pour la compensation de nos frais de déplacement. A l’heure actuelle, nos collègues des cuisines ne bénéficient par exemple d’aucune compensation kilométrique. Cela étant, nous discutons de tout cela dans le syndicat et avec les collègues dans les services. La pression monte et on entend partout : « qu’est-ce qu’on attend pour se mettre en grève ? ».