InFOrmation syndicale

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16 février 2018

La chambre du futur

Bientôt la trêve des confiseurs et les rêves enfantins...

Qu'il est doux de croire au Père Noël! Qu'il est doux de croire que plus les riches seront riches et moins les pauvres seront pauvres. Que pour réduire les inégalités il faut commencer par les augmenter ! Que les profits d'aujourd'hui feront les investissements de demain et les emplois d'après-demain (1), etc.
Mais hélas ! le plateau de la réalité, écrasé sous le poids de la brutalité anti-sociale du gouvernement, pèse plus lourd que les contes de fée. à l'âge de raison, la plupart des gens ne sont pas des imbéciles. A fortiori quand ils sont organisés, la carte syndicale étant une excellente  antidote aux bobards. 

En définitive, il n'a donc fallu qu'un seul été pour que l'ectoplasme jupitérien soit frappé au coin du bon sens : Macron est le président des riches, voire le Père Noël des ultra-riches à qui les lingots distribués ne sont pas en chocolat.

Soit ! Mais si le rideau est déchiré, si la mise-en-scène est bancale, si le fragile décor menace de s'effondrer, comment se fait-il que les acteurs puissent continuer à nous la jouer imbuvable ?

« On a peur du chaos politique si Macron tombe », a répondu un confédéral de la CFDT... Pas de surprise donc du côté de ce «syndicalisme» qui a la frousse de la classe ouvrière et dont la mission est d'empêcher la satisfaction des revendications, synonyme de «chaos».

Cependant, si le retrait des ordonnances sur la loi Travail II n'a pas été imposé, le gouvernement a finalement échoué à ligoter («encorder», dirait Macron) les organisations syndicales dans des rapports «corporatistes», malgré la «realpolitik» (2) de la concertation (qui, rappelons-le, n'est pas la négociation).
La messe n'est donc pas dite !

La classe ouvrière est debout, prête à surgir sur la scène à tout moment.
Si la classe ouvrière est debout, si les organisations, malgré les coups, restent intactes, le train des contre-réformes a toute chance de dérailler, in fine. Alors comment faire exploser les confédérations syndicales pour pouvoir défaire la classe ouvrière ?
Car c'est bien là l'enjeu pour démolir les conquêtes et droits acquis à la Libération, condition pour imposer de nouvelles baisses du coût du travail.

On dira que l'objectif n'est pas nouveau et que plus de vingt fois sur le métier les exploiteurs ont cherché à intégrer, asphyxier voire interdire les syndicats, ce que seul le fascisme a réussi.

Dès  la  fin  du  19ème siècle,  effrayée par la montée en puissance du mouvement ouvrier indépendant, l'église de Rome était déjà montée au créneau pour condamner la lutte des classes et créer des «syndicats» confessionnels opposés aux syndicats ouvriers indépendants. Elle exposa sa «doctrine sociale» dans l'Encyclique papale Rerum Novarum (1891). La société, comme l'entreprise, doit être considérée comme un corps organique dont chaque membre est solidaire, du cerveau au petit orteil. Bien entendu, Dieu n'a pas mis sur le même pied le cerveau et le petit orteil, mais chacun à sa place se doit d'oeuvrer au «bien commun» de la communauté de destin à laquelle il est encordé... C'est la sulfureuse doctrine du corporatisme. Sulfureuse car elle fut la matrice idéologique de toutes les variétés sanglantes de fascisme pendant l'Entre-Deux-Guerres, de la Charte du travail de Pétain, puis des multiples tentatives d'Association Capital-Travail .

Dans sa dernière conférence de presse, pour faire «nouveau monde», Macron a illustré ces vieilleries corporatistes  par l'image de la cordée tirée par «le premier de cordée», le chef qui la guide... et à laquelle on est encordé.
Pas étonnant, non ?

Le corporatisme, arme de destruction massive des syndicats, revient donc au pas de charge à l'ordre du jour.
Déjà la loi Travail veut aboutir à l'expulsion pure et simple des syndicats des petites entreprises (8 millions de salariés en seront privés) ou les intégrer dans des «conseils d'entreprise» qui confisqueront leurs prérogatives, en matière de négociation sociale ou d'élection des délégués notamment.

Le 4 juillet dernier devant les députés et sénateurs réunis en Congrès, Macron a annoncé une grande réforme constitutionnelle, la création d'une «Chambre du futur» en remplacement de l'actuel Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE), actuelle troisième Chambre après l'Assemblée Nationale et le Sénat.  Comptant 233 membres désignés par les organisations syndicales, patronales, des agriculteurs etc. elle ne joue actuellement qu'un rôle consultatif. La réforme devrait l'intégrer «pleinement dans le processus législatif».
« Je suis favorable à transformer le Conseil économique social et environnemental en une ‘Chambre de l’avenir’, où les ONG, les associations auront une représentation, pourront participer à la construction de la chose publique, du débat public et de l’action publique », a précisé Macron.
Il est loin d’être le premier à proposer une réforme de cet acabit.

Déjà, le général  De Gaulle avait inscrit dans son projet soumis à référendum en 1969 une fusion de l’ex-Conseil économique Social avec le Sénat et sa déclinaison dans des « conseils régionaux ». Il reprenait dans des termes quasi identiques la réforme constitutionnelle du maréchal Pétain de  janvier 1944.
Bien entendu, Pétain et De Gaulle divergeaient sur la collaboration avec l'Allemagne nazie. Mais éduqués dans le même giron d'une hiérarchie militaire cléricale, ils partageaient la conception corporatiste de la société.

En 1969, notre organisation joua un rôle central en appelant à voter NON à la contre réforme corporatiste, ce qui provoqua l'abdication du général.
Ce projet pétaino-gaulliste a été repris en 2015 dans le rapport du néo-socialiste Bartolone (approuvé par la néo-stalinienne Mme Buffet) consacré à l’avenir des institutions de la République et de la « démocratie sociale » (3). Il s'agit purement et simplement de faire des syndicats des co-législateurs, intégrés aux rouages de l’État, donc interdits de revendiquer en toute indépendance les intérêts particuliers du salariat.

Tout cela s'apparente à la Chambre des corporations de Mussolini, où les délégués désignés (non élus) par 22 corporations participaient à la fabrication de la loi dans l'Italie fasciste.

« La chambre du futur » de Macron a finalement tout à voir avec les chambres corporatistes du passé de sinistre mémoire !                   

 
 Jean Alséda

1-« Théorie économique » de l'ancien chancelier allemand Helmut Schmidt fin 1970, dont la preuve scientifique s'appuie sur cette fine observation que la pluie fait pousser l'herbe qui engraisse les vaches.  
2- Caractéristique de la diplomatie soi-disant « réaliste » de Bismarck, autre chancelier allemand au 19ème siècle, qui consiste à chercher l'équilibre entre des forces hostiles. Les « Accords de Munich » (1938) en furent un exemple significatif.
3 - Pour brouiller les cartes, le gros mot de « corporatisme » est maintenant camouflé par l'expression plus soft de «démocratie sociale» ou «participative».