InFOrmation syndicale

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23 mars 2018

Entreprise et corporatisme (des choses pas vraiment nouvelles...)

Bruno Le Maire, actuel ministre de l’économie, prépare un projet de loi qu’il présentera au printemps prochain, dans le cadre d’un « Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises » (PACTE). Ce futur projet de loi  vise à concilier « performance économique et sociale », c’est-à-dire l’inconciliable au regard de l’étroitesse du marché... Ou bien tout dépend du sens que l’on met derrière chaque mot.
Dans cette perspective, le gouvernement a mis en place différents groupes de travail, composés de parlementaires et de chefs d’entreprise, qui ont déjà déposé de nombreuses « propositions », dont certaines seraient « décoiffantes » selon les mots du ministre. De la même manière, Nicole Notat, l’ancienne secrétaire générale de la CFDT dont le rôle néfaste pendant les grandes grèves de 1995 n’est plus à démontrer, et Jean-Dominique Senard, patron de Michelin, ont été missionnés pour réfléchir à la réécriture des articles 1832 et 1833 du Code civil qui définissent juridiquement l’entreprise.

Cette mission Notat-Senard était initialement baptisée « Entreprises et bien commun », avant d’être renommée « Entreprises et intérêt général », pour paraître sans doute moins clérical.
Il convient donc de revenir à la source de cette notion de « bien commun » et donc au texte fondateur de la doctrine sociale de l’église. On constatera que la « modernité » macronienne est d’une rare obsolescence... programmée ou non.

Du mérite de la constance
S’il y a bien un mérite que nous pouvons reconnaître aux promoteurs de la doctrine sociale de l’église, c’est celui de la constance.
L’acte fondateur de cette «doctrine» est la lettre encyclique papale de 1891, intitulée Rerum Novarum (ce qui signifie Les choses nouvelles), que le Vatican a diffusée pour tenter de contrer l’essor du mouvement ouvrier dans toute l’Europe.
Dans ce document, nous retrouvons tout le vocabulaire de Macron et consorts qui, comme nous pouvons le constater, n’a résolument rien de moderne. Tout y est : la naturalisation des inégalités, la référence aux « corps intermédiaires », la notion de « bien commun »... Sous le vernis sentimental dont sont couverts certains passages de l’encyclique, cette dernière fait preuve en réalité d’une rare violence contre la classe ouvrière, notamment contre ses « meneurs », coupables d’exciter et de corrompre les ouvriers : « Ce qui importe par-dessus tout, au milieu de tant de cupidités en effervescence, c’est de contenir les masses dans le devoir ».

De la doctrine à la pratique : la CFDT en action
L’énergie dépensée par les prêtres pour diffuser l’heureuse doctrine auprès des masses « cupides » s’avérera insuffisante. Pour l’église, il fallait pouvoir croquer la pomme de l’intérieur : et Dieu créa la CFTC en 1919, qui deviendra la CFDT en 1964, afin de concurrencer auprès des salariés la « vieille » CGT, dont nous sommes les continuateurs.
La suite de l’histoire, nous la connaissons tous à peu près. La CFTC/CFDT n’aura de cesse de s’adapter aux « circonstances », quitte à « gauchir » son propos de façon très «anticapitaliste» quand il le fallait, pour continuer son oeuvre corporatiste. Il n’y a pas de rupture entre le « combat autogestionnaire » des années 60, contribuant à la création en décembre 1968 de la section syndicale d’entreprise contre la primauté de la négociation de branche et le soutien actif qu’elle apportera aux gouvernements successifs à partir de 1981...

Une « co-détermination » à la française ?
C’est dans un même mouvement que Laurent Berger, actuel secrétaire général de la CFDT, a aidé François Hollande et Manuel Valls dans la mise en oeuvre de la loi Travail et qu’il se chagrine  aujourd’hui de « l’occasion manquée » que représentent selon lui les ordonnances Macron.
De son point de vue, ces dernières ne vont en effet pas assez loin dans la destruction des organisations syndicales. L’heure serait à une « co-détermination à la française », visant à intégrer les représentants des salariés au sein des conseils d’administration des entreprises de plus de 500 salariés.
Pour mieux comprendre les enjeux d’une telle « proposition », rappelons-nous les propos qu’a tenus à Nantes dans les années 1980 le directeur de cabinet du ministre Auroux, Michel Praderie, afin de vendre aux patrons les bénéfices des lois éponymes  :
« Il faut qu’au niveau des négociations sur les salaires, le salarié accepte une certaine discipline liée à la situation économique (…), si le salarié comprend mieux la marche de l’entreprise, il peut mieux participer ».
Il est évident que l’intérêt supérieur d’une entreprise, au nom du «bien commun» ou de «l’intérêt général», primerait in fine sur les intérêts particuliers des salariés. Dès lors, posons-nous la bonne question : la présence de représentants des salariés au conseil d’administration renforcerait-elle ceux-ci ou contribuerait-elle au contraire à les lier, en cas d’inévitables difficultés économiques, aux plans de suppressions d’emplois et aux remises en cause des dispositions favorables de nombre d’accords collectifs ?

Mission Notat/Senard : un pas vers le corporatisme
Le gouvernement vient de confier à Soeur Nicole Notat, ancienne secrétaire générale de la CFDT et actuelle présidente d’une agence de notation, et à Frère Jean-Dominique Senard, patron «social» de Michelin, une mission initialement baptisée «Entreprises et bien commun». Cette dernière a pour objectif de réécrire les articles 1832 et 1833 du code civil.
L’article 1832 définit comme suit l’entreprise : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes (...) en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter ». Il s’agirait d’affirmer aujourd’hui que l’entreprise n’a pas pour seule motivation la recherche de profits, mais qu’elle aurait d’autres responsabilités, notamment sociales et environnementales.
En réalité, il s’agirait de faire accroire, sans remettre en cause les fondements inégalitaires du mode de production actuel, que la distribution des bénéfices à une petite minorité  d’actionnaires serait compatible avec un prétendu intérêt général ou « bien commun », du moment que ceux-ci sont partagés « dans le respect de toutes les parties ».
Or, nous comprenons que derrière cette façade mignonnette, il est question de mettre théoriquement patrons et salariés sur le même plan, tout en maintenant dans les faits l’inégalité de propriété qui, selon Rerum novarum, est tout à fait « naturelle ». Cela peut présenter à terme l’avantage de déconnecter les relations dans l’entreprise de la reconnaissance du lien de subordination qui est à la base du droit d’exception que constitue le Code du travail, donc le socle des garanties collectives des salariés. Consécutivement, ce sont les prérogatives mêmes des organisations syndicales qui seraient mises en cause.
Certes, le projet de réécriture du Code civil inquiète une partie des cercles patronaux, Pierre Gattaz en tête, car ils y voient la possibilité d’une insécurité juridique (cette fameuse insécurité juridique ayant servi d’argument à la mise en oeuvre du barème des indemnités prud’homales). Cela étant, le patronat n’attend pas de connaître les tenants et les aboutissants de telle ou telle argumentation juridique pour avancer très matériellement ses pions (voir encadré ci-contre).


Futur projet de loi PACTE: le patronat n’attend pas
Le gouvernement étudie actuellement avec le plus grand intérêt les propositions que lui fait le patronat concernant les fameux « effets de seuil ». Il s’agit d’amplifier l’œuvre destructrice des lois Travail et Rebsamen, ainsi que des ordonnances Macron :Concernant les obligations des employeurs en matière de représentation du personnel, on sait que les ordonnances Macron ont grandement simplifié la vie des employeurs dans les entreprises de moins de 50 salariés, mais également au-delà avec la fusion des Institutions représentatives du personnel (IRP). Cependant, selon Les échos du 21 décembre 2017, le compte n’y est toujours pas : « pour beaucoup de patrons de PME, la fusion n’est pas une simplification suffisante. Et dans les entreprises de plus de 11 salariés, l’obligation d’organiser des élections professionnelles est toujours d’actualité ».Concernant les obligations sociales et fiscales des employeurs, la loi Rebsamen d’août 2015 a mis en œuvre un gel de trois ans (2015-2018) des prélèvements sociaux et fiscaux des entreprises qui franchissaient le seuil de 10, 20 ou 50 salariés.Le futur projet de loi pourrait « pérenniser » un tel dispositif, permettant aux entreprises de s’affranchir de ses obligations… pour le « bien commun » évidemment ! Le quotidien La Croix du 21 décembre dernier résume bien la situation : « un groupe de travail propose en effet de « simplifier et adapter les seuils », notamment en ouvrant une période « de 3 à 5 ans » pendant laquelle une entreprise n’aurait pas besoin de se conformer à de nouvelles obligations. Cela concernera en particulier les nouvelles cotisations ou taxes qu’une entreprise doit acquitter. Quand elle passe au-dessus de 9 salariés, elle doit par exemple participer aux frais de transport de ses salariés. Puis quand elle passe au-dessus de 10, la contribution à la formation professionnelle passe de 0,5 à 1 % de la masse salariale… Et ainsi de suite. Sans modifier directement ces seuils, l’idée est donc d’en amortir leurs effets en ouvrant un délai avant leur pleine application »... Le patronat ne s’arrête pas là, puisqu’il préconise même de doubler certains seuils...Pauvre Léon XIII... Décidément, les patrons ne sont pas raisonnables. Pire, ils sont cupides !