par Michel Le Roc’h, secrétaire général de l’UD CGT-FO de Loire-Atlantique
Depuis le 5 décembre dernier, les salariés, chômeurs, retraités et jeunes sont mobilisés et en grève contre un projet qui conduirait, s’il était adopté, à repousser l’âge de départ à la retraite, à baisser les pensions et, ce faisant, à ouvrir la porte aux retraites par capitalisation : l’article 64 du projet de loi incite clairement les assurances privées à mettre en place des plans d’épargne retraites par capitalisation, pour le plus grand bonheur de BlackRock et des fonds de pension. En faisant main basse sur les régimes de retraite et en étatisant les retraites en un régime unique, le gouvernement vise à dessaisir les salariés de leur capacité à défendre leurs intérêts particuliers et à gérer leurs propres affaires.
Cependant, la formidable mobilisation et la grève reconduite dans plusieurs secteurs, comme à la RATP et à la SNCF, gêne considérablement l’action de destruction des conquêtes sociales du gouvernement. Ce dernier est d’autant plus isolé que le Conseil supérieur de la fonction militaire vient d’émettre, ce 15 janvier, un avis défavorable à son projet de loi. Il convient de rappeler que les militaires, à l’instar des fonctionnaires de l’état, relèvent du Code des pensions civiles et militaires, dont le projet Macron implique la destruction. Les militaires ont bien compris que la retraite par points implique nécessairement des baisses drastiques de pension et le report de l’âge réel de départ à la retraite, du fait d’un calcul appliqué sur l’ensemble de la carrière – non plus sur les six derniers mois – et de l’instauration de « décotes dissuasives pouvant aller au-delà de 60 % ».
En annonçant la semaine dernière le retrait de « l’âge pivot », le gouvernement a tenté de sortir de la crise dans laquelle il est englué. Mais l’accord concocté entre Edouard Philippe et Laurent Berger n’est que de l’enfumage. « L’âge d’équilibre » est cité 38 fois au lieu de 39 dans le projet de loi. Et «l’âge d’équilibre» continuerait à évoluer en fonction de l’espérance de vie. Le quotidien Le Monde du 19 janvier évoque un âge « d’équilibre » à 65 ans pour la génération 1975. Cet «âge d’équilibre» passerait à 66 ans pour la génération 1987, 67 ans pour celle née en 1997 et 68 ans pour la génération née en 2011 !
Il n’y a donc aucun retrait de « l’âge pivot » ou « âge d’équilibre ». Il reste dans le projet de loi. Sa mise en place serait repoussée en 2027, c’est-à-dire pour celles et ceux qui sont nés en 1965 ou après. D’ici là, le Premier ministre demande aux organisations syndicales de prendre les mesures pour économiser 12 milliards par an dans le cadre d’une conférence pour «le financement».
Mais décidément, pour qui nous prennent-ils ? La « conférence de financement » fait partie de ces manœuvres visant à jouer la carte du pourrissement et à associer les organisations syndicales à la gestion de l’austérité pour l’ensemble des salariés, du privé comme du public. C’est évidemment inacceptable.
Fustigeant «le jusqu’au-boutisme» des grévistes, Edouard Philippe menace même aujourd’hui, dans la continuité de l’escalade répressive des derniers mois, d’un recours à « la force pour ramener l’ordre ». Il menace et tente de stigmatiser les organisations syndicales.
à travers cette attitude autoritaire et méprisante, c’est bien la démocratie qui est menacée, c’est-à-dire la reconnaissance du droit des salariés de s’organiser pour défendre leurs intérêts. Rappelons pour bien comprendre cette trajectoire, qu’Emmanuel Macron est un adepte du « personnalisme » et du «corporatisme».
Le corporatisme est une doctrine politique qui a pris corps essentiellement au sein du catholicisme dit social au XIXème siècle, doctrine qui a été mise en œuvre au XXème sous des formes variées, les points communs étant l’organisation d’institutions qui rassemblent patrons et ouvriers subordonnant les intérêts de ceux-ci aux intérêts de l’entreprise, ce qui entraîne la disparition des syndicats indépendants et l’instauration d’un régime autoritaire. Sous des formes diverses, le corporatisme se présente toujours comme une alternative au capitalisme et au socialisme, une troisième voie : « On dénonce les mauvais côtés du capitalisme et on se propose de résoudre la question sociale, d’améliorer la situation des ouvriers et d’éliminer la lutte des classes. Ce ne sont plus les individus qui constituent la base de la société, mais la famille, l’entreprise, les corps intermédiaires. » (1)
Pour obtenir le retrait du projet de loi sur les retraites, combattre cette marche au corporatisme et préserver la démocratie, l’heure est à poursuivre la mobilisation. C’est la raison pour laquelle, après 45 jours de grève et de mobilisation, nous appelons à nouveau tous les salariés à se réunir sur leurs lieux de travail, à discuter et à organiser la grève dans l’action commune la plus large, en particulier le vendredi 24 janvier, jour de présentation du projet de loi au conseil des ministres.
(1) Michel Eliard – Le corporatisme politique (décembre 2006)