Un énième « sommet de la dernière chance »
Ce nouveau sommet de la dernière chance est pour le moment le dernier en date d’une longue série. Destiné à « rassurer » les marchés financiers sur la volonté des dirigeants européens de mettre tout en œuvre pour faire face à la crise des dettes souveraines, cet accord franchit un pas supplémentaire dans l’institutionnalisation des politiques d’austérité, dont les travailleurs sont les premières victimes.
Le 21 juillet dernier, un sommet déjà présenté comme celui de la dernière chance avait établi un certain nombre de mesures sur le rééchelonnement de la dette grecque, la participation du secteur privé ou le renforcement du Fonds européen de stabilité financière…
En octobre, après que la crise a connu une accélération au cours de l’été et vu croître la défiance des marchés, concrétisée par la hausse des taux d’intérêt sur les dettes souveraines, non seulement en Grèce, mais dans la quasi-totalité des pays d’Europe du Sud, de nouvelles décisions sont intervenues, vite discréditées. Ce plan a précipité la chute du gouvernement de Georges Papandréou en Grèce ainsi que celle de Silvio Berlusconi en Italie, remplacés par des gouvernements dits « techniques » dans lesquels les banquiers ou ex-banquiers occupent une place de choix. Les taux d’intérêt sur les emprunts publics ont grimpé ensuite dans presque tous les pays de la zone euro, jusqu’à 7 % en Italie. En France, le taux appliqué aux emprunts publics atteignait deux fois celui pratiqué en Allemagne, à 3,8%.
Ces plans se sont inscrits dans la continuité de décisions prises l’an passé, après que la crise des dettes de la zone euro a été déclenchée fin 2009 par la révélation des mensonges sur les comptes publics grecs par le gouvernement alors nouvellement élu.
Après de nombreuses tergiversations en l’absence de mécanismes de solidarité financière en Europe, qui ont eu pour effet de propager un climat de défiance chez les acteurs financiers, les outils mis en place en mai 2010 par les gouvernements se sont vite révélés insuffisants.
Le tourbillon de la spéculation financière était enclenché, accéléré par l’arrogance des agences de notation.
Après les premières alertes sur le refinancement de la dette grecque en 2010, plusieurs semaines s’étaient écoulées avant que les pays européens décident la mise en place d’un fonds de stabilité financière, lequel permet aux pays soumis à des taux d’intérêt très élevés de se refinancer à des conditions plus favorables que sur les marchés financiers.
A chaque fois, ces différents sommets ont conduit à la présentation de mesures dites « d’urgence », destinées à « rétablir la confiance des marchés », c’est-à-dire à ramener les taux d’intérêt sur les dettes des Etats à des niveaux raisonnables, niveaux dont ils n’auraient jamais dû s’écarter si la spéculation financière ne s’était pas attaquée aux emprunts des pays de la zone euro et si les gouvernements décidaient de s’émanciper des
marchés financiers.
Quand austérité rime inévitablement avec récession et chômage
Concrètement, on a assisté à une escalade sans fin en matière d’austérité budgétaire dans les pays de la zone euro, remède qui s’avère pire que le mal puisque cette surenchère dans l’austérité, au lieu de rétablir les comptes publics et réduire les déficits, affaiblit la croissance, réduit les recettes budgétaires et accroit d’autant les déficits que ces politiques sont censées résorber. C’est en ce sens que l’austérité est suicidaire ou, pour reprendre la formule de Paul Krugman « une spirale de la mort ».
Depuis l’été, les perspectives de croissance sont particulièrement assombries et les prévisions publiées par les organisations internationales pour la fin de 2011 et 2012 sont actualisées de plus en plus rapidement et toujours à la baisse. Alors que le début de l’année s’annonçait sous un jour plutôt optimiste, l’OCDE évoquait début décembre, un nouvel épisode de « récession » en France, tendance confirmée par l’INSEE dans son point de conjoncture du 16 décembre. Conséquence, le chômage repart à la hausse et pas une journée ne se passe sans que des suppressions massives d’emplois soient annoncées.
Pourtant, la surveillance budgétaire dans l’UE a été déjà plusieurs fois renforcée depuis deux ans :
- Pour la première fois en 2011, la procédure dite du semestre européen s’est appliquée et a conduit à la présentation de recommandations par le Conseil en direction des Etats dont les déficits dépassaient les limites prévues par le Pacte de Stabilité. C’est ainsi que le 12 juillet dernier, des recommandations ont visé la France, remettant en question son plan d’assainissement budgétaire (fondé sur des hypothèses de croissance trop optimistes) et invitant le gouvernement à procéder à des réformes structurelles en matière de marché du travail (notamment les règles de licenciement, la règle d’indexation du SMIC ou l’accompagnement des demandeurs d’emploi par Pôle emploi) ;
- En septembre, le Parlement a voté un « paquet législatif » sur la gouvernance économique, qui concrétise le pacte pour l’euro décidé en mars. Ce paquet qui vient d’entrer en vigueur prévoit notamment un renforcement du Pacte de Stabilité, plus de coordination dans les politiques économiques dans la zone euro - en fait, une plus grande coordination des mesures d’austérité budgétaire ! - et un renforcement des sanctions (avec la règle de la majorité qualifiée inversée) en direction des pays qui ne reviendraient pas assez rapidement dans les clous du Pacte de Stabilité.
L’accord du 9 décembre : inutile et dangereux
L’accord du 9 décembre 2011 s’inscrit dans cette lignée. Mis au point par le couple Merkel-Sarkozy quelques jours plus tôt, il est présenté comme une réforme des Traités européens destinée à répondre à la « crise de confiance et de crédibilité de la zone euro ». L’accord qui a été avalisé par 23 pays (les 17 de la zone euro et 6 pays hors zone euro mais qui s’inscrivent dans la perspective de la rejoindre) prévoit la création d’une union budgétaire dotée de règles de convergence et de surveillance mutuelle ainsi que d'une discipline de fer.
Est ainsi prévue :
- la mise en place de sanctions envers les Etats dont le déficit dépasse 3 % ; Or, ces sanctions sont déjà prévues dans le pacte de stabilité. Elles deviennent automatiques sauf «si une majorité qualifiée de membres s'y oppose».
- l'adoption par tous les Etats membres d'une règle d'or, dont la transposition sera vérifiée par la Cour de justice de l'UE. « Tous les budgets devront être équilibrés», précise l’accord européen, et le déficit structurel de chaque État ne devra pas excéder 0,5 % du PIB. C’est le retour de cette règle constitutionnelle qui priverait les gouvernements de leur capacité d’action en matière budgétaire pour mener des politiques de croissance. C’est la soumission aux marchés financiers.
- une augmentation des montants pour aider les Etats en difficulté, avec une enveloppe de 200 milliards de fonds supplémentaires présentée au FMI d'ici dix jours ;
- le mécanisme européen de stabilité, qui doit pérenniser le FESF (Fonds européen de Stabilité financière) en 2013 sera géré selon la règle de la majorité qualifiée, fixée à 85 % des droits de vote et non plus à l'unanimité comme aujourd'hui. Concrètement un petit pays ne pourra pas s'opposer à ce que le MES intervienne au secours d'un autre. Seuls l'Allemagne, la France et l'Italie qui disposent de plus de 15 % des voix conserveront un droit de véto de fait.
- le secteur privé ne sera plus mis à contribution en cas de restructuration de la dette d'un État comme cela a été le cas avec la Grèce.
Pourtant, des pistes existent qui permettraient de sortir de la crise de défiance et de relancer la machine économique, ce qui est le meilleur moyen de réduire l’endettement public.
• Permettre à la BCE d’acquérir des titres de dettes publiques et d’intervenir comme prêteur en dernier ressort
• Envisager de mutualiser les dettes publiques au niveau européen
• Envisager un défaut partiel ou une restructuration de la dette des pays les plus menacés par les marchés financiers
• S’engager dans une véritable re-règlementation financière pour remettre la finance au service de l’économie réelle et non plus au service de sa seule cupidité
• Taxer le secteur financier et les hauts revenus pour faire participer les véritables responsables de la crise au sauvetage des pays en difficulté.
• Etablir une taxe sur les transactions financières pour enrayer la spéculation et créer des recettes publiques supplémentaires
• Interdire aux agences de notation de publier des notes sur les pays en difficulté
Les dirigeants européens souhaitent aller vite et finaliser l’adoption de ces nouvelles mesures par les Etats membres avant mars 2012. Une nouvelle fois, la preuve est faite que le temps des marchés n’est pas celui de la démocratie. Une chose est sûre, les travailleurs et les citoyens n’auraient pas pour les gouvernements leur mot à dire. Mais l’incertitude demeure sur la forme juridique que prendra cet accord. Pour la Commission, l’accord n’est pas compatible avec les Traités existants. Selon le président du Conseil européen Herman
Van Rompuy, deux nouveaux traités sont nécessaires : l'un consacré à l'union fiscale de la zone euro, l'autre portant sur le mécanisme européen de stabilité (MES). Pour la chancelière allemande Angela Merkel, au contraire, un seul traité adossant le futur pacte fiscal aux statuts du MES suffirait.
Preuve que cet accord non seulement ne résout rien mais compromet encore un peu plus la situation de l’économie européenne, les marchés ne semblent nullement rassurés, la France n’échappera pas à la perte de son triple A et à une envolée de ses taux d’intérêt sur la dette souveraine. Les marchés financiers ne lâcheront pas leurs proies si rapidement. L’accord du 9 décembre pourrait bien ne pas être le dernier, dans une logique économiquement et socialement suicidaire.
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Andrée THOMAS, Secrétaire Confédérale