InFOrmation syndicale

1er MAI "JOURNÉE INTERNATIONALE DE LUTTE DES TRAVAILLEURS" À 10H30 PLACE DE BRETAGNE AVEC FO CGT FSU SOLIDAIRES --- 22 AU 24 MAI STAGE "JE NÉGOCIE" --- 28 AU 30 MAI STAGE "CONNAÎTRE SES DROITS" --- ...

22 novembre 2012

Édito: LA TENTATION TOTALITAIRE

Editorial dédié à Serge Mahé, qui, toute sa vie, a combattu pour l'indépendance syndicale, la liberté et la démocratie.

A l’état de nature il n’y a pas de démocratie. Il y a la loi du plus fort, la loi de la jungle. La démocratie, inventée par les Grecs est à l’échelle de l’histoire une création récente, fréquemment remise en cause et toujours d’un équilibre fragile.

Dans les états modernes et industriels, il a fallu bien des combats pour que la classe ouvrière puisse exister en tant que telle et faire valoir librement ses intérêts particuliers par la reconnaissance de ses organisations.

En France, depuis 1884 les travailleurs ont le droit de s’organiser librement dans les organisations syndicales de leur choix.

Pour autant il a fallu souvent combattre pour préserver l’indépendance des syndicats, que ce soit à l’égard des partis politiques, du patronat ou des gouvernements. Les tentatives de subordination sont si nombreuses qu’il n’est pas possible de toutes les rappeler.

C’est aussi pour préserver l’indépendance syndicale, qu’en 1947, des militants de la «vieille CGT» décidaient de faire scission pour créer la CGT-Force Ouvrière. Notre Confédération est donc directement issue du combat pour la démocratie. Notre histoire explique que nous soyons particulièrement attentifs à tout ce qui touche à l’indépendance et à la liberté.

Ainsi, en 1969, quand le Général de Gaulle a proposé un référendum pour la régionalisation et la création d’un nouveau Sénat intégrant les organisations syndicales, notre Confédération a appelé à voter NON, et décidé qu’en cas de victoire du oui elle ne siègerait pas à ce Sénat à caractère corporatiste.

Fort heureusement le "non" l’a emporté, et ce projet n’a pas pu aboutir. Pour autant, les partisans de l’association capital-travail _ou de toutes autres formes d’intégration_ des syndicats n’ont pas renoncé. Ils ont en quelque sorte repris par le bas ce qu’ils n’avaient pas pu faire aboutir par le haut. Depuis 1969 les comités de toute nature, au plan national comme au plan local, visant à associer les syndicats se sont multipliés. Pas une semaine ne se passe sans que l’on nous propose de participer à un nouveau «comité Théodule», dont le seul objectif est de nous compromettre dans des décisions prises ailleurs. Soyons lucides, les Comités Economiques Sociaux et Environnementaux s’inscrivent dans cette volonté politique, et si nous y participons cela doit être avec la plus grande prudence, afin qu’en aucun cas nos voix se portent sur des choix qui, en démocratie, sont de la compétence des partis politiques et non des syndicats.

Le respect de ces principes est encore plus impératif quand, compte tenu de la situation, les gouvernements se font plus pressants pour nous associer à des décisions souvent contraires aux intérêts que nous représentons.

Ainsi, le 5 octobre 2012, à l’occasion des «Etats généraux de la démocratie territoriale», François Hollande a regretté l’échec du référendum de 1969 : «Quant à la Vème république, elle préféra longtemps la déconcentration à la décentralisation, jusqu’à ce que le Général de Gaulle, conscient de ce que signifiaient les événements de mai 1968, proposa au pays la régionalisation. Il ne fut pas compris et l’idée recula.» De De Gaulle à Hollande, belle continuité… !!!

Dans toute l’Union européenne, les gouvernements appliquent les directives de la Troïka. Cette politique se heurte de plus en plus à la résistance de la classe ouvrière. Les manifestations du 14 novembre en Grèce, en Espagne ou au Portugal en sont une dernière et puissante expression.

En France, le gouvernement sait pertinemment que les travailleurs n’accepteront pas la politique de rigueur qu’il veut nous imposer. C’est pourquoi, dans un premier temps, il n’a pas repris à son compte toutes les préconisations du «rapport Gallois».

Celles-ci peuvent d’ailleurs se résumer à une phrase : «Plus aucun argument ne milite en faveur d’un système établi dans un tout autre contexte en 1946, qui pénalise le facteur travail dans les entreprises, alourdit leurs comptes, et pèse sur l’emploi».

Denis Kessler, à l’époque vice président du MEDEF, écrivait le 4 octobre 2007 : «Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance ! ».

Cette offensive du patronat, continuée aujourd’hui par Monsieur Gallois et le gouvernement, n’est donc ni nouvelle ni originale. Mais compte tenu du caractère véritablement explosif de la situation politique, plus que jamais le gouvernement cherche à associer les organisations syndicales à ses décisions.
C'est ce que préconise Monsieur Gallois dans son rapport : «les circonstances de la deuxième guerre mondiale et de la Libération, avaient permis d’élaborer, en 1946, un Pacte qui a permis «les 30 glorieuses » : chacun sent aujourd’hui que ce Pacte négocié il y a 60 ans est à bout de souffle, qu’il ne fonctionne plus et qu’il «fossilise» le dialogue social. Il faut en bâtir un nouveau… les partenaires sociaux sont donc face à une responsabilité que l’on peut qualifier d’historique».

Encore un donc qui nous propose un «Pacte».

En d’autres temps, autre vocabulaire, on nous parlait, de «Charte».

Dans le préambule de la «Charte du Travail» de feu le Maréchal Pétain, on peut lire des propos étrangement voisins : «Les syndicats ont leur place dans cet ordre nouveau. Ils auront la double mission de discipliner la libre réaction de leurs adhérents, et de participer à la formation des comités sociaux. Mais les syndicats ne seront plus les syndicats de tendance du passé». L’objectif est de «rompre définitivement avec le vieux système de la lutte des classes».

Bien sûr, la situation n’est pas identique, et comparaison n’est pas raison. Mais nous savons aussi que, pendant la deuxième guerre mondiale, beaucoup de militants honnêtes se sont retrouvés, malgré eux en quelque sorte, souvent par pragmatisme, à collaborer dans les instances de la Charte du travail.

Le combat pour la démocratie a ses exigences. Il y a des principes sur lesquels nous ne saurions transiger.

Quand François Hollande invite les «partenaires sociaux» à un nouveau «compromis historique» , nous lui répondons que, fondamentalement, la classe ouvrière a des intérêts distincts et le plus souvent antagoniques aux intérêts du patronat. Ces conflits d’intérêts peuvent se résoudre, en fonction du rapport de force, par des compromis sur telle ou telle question, mais en aucun cas sur un «compromis historique» ou tout autre «pacte social».

Cette idée nous la retrouvons dans les encycliques sociales, en particulier Rerum Novarum, qui ont nourri toute la démocratie chrétienne et au plan syndical la CFDT : c’est celle du «bien commun». Cette conception est dangereuse : elle a conduit de nombreux pays au corporatisme, et elle est le fondement idéologique du fascisme mussolinien.

C’est pourquoi aussi, nous n’avons pas notre place dans le «comité de suivi» que le gouvernement souhaite mettre en place ; il n’est pas de notre rôle de «discipliner les réactions» de la classe ouvrière.

Dans ces périodes de crise, au prétexte d’efficacité, la tentation totalitaire est toujours présente. Il est donc encore plus nécessaire que nous restions vigilants afin de préserver l’indépendance syndicale, donc la démocratie.