Clinique Sainte-Marie à Châteaubriant - Grève victorieuse à l’appel de FO
Lancée à l’initiative du syndicat FO des personnels de la clinique Saint-Marie de Châteaubriant et suivie par plus de 90 % des salariés, la grève du 23 novembre dernier a débouché sur une victoire exemplaire.
Acculée, la direction de la clinique a tenté de transférer les patients vers une autre clinique du groupe, située à Rennes, avant de céder sur les revendications.
Après cinq années de gel des salaires, le syndicat FO a notamment obtenu le paiement en deux fois d’une prime d’assiduité mensuelle de 25 € bruts pour l’ensemble des personnels, ainsi que la non retenue sur salaire pour les agents grévistes devant être en poste ce jour-là. Cette victoire, à laquelle l’Union locale FO de Châteaubriant a contribué par le soutien qu’elle a apporté au syndicat et aux grévistes, démontre que seul le rapport de force paie.
Interview de Thierry Vaillant, Délégué syndical FO
(parue dans L'Ouest-Syndicaliste n°685)
Peux-tu nous donner quelques éléments de contexte, avant d’aborder la grève du 23 novembre?
La clinique Sainte-Marie est intégrée depuis 2012 dans le groupe Vivalto Santé, dont le PDG est Daniel Caille, ancien haut dirigeant de La Poste. Ce groupe est détenu à hauteur de deux tiers par des investisseurs financiers et d’un tiers par des médecins actionnaires (1). Vivalto Santé a déclaré en 2016 un chiffre d’affaires de plus de 450 millions d’euros. Le groupe compte aujourd’hui 21 établissements et près de 4 800 salariés. Cela est à mettre en perspective, dans le rapport de force, avec les 85 salariés que compte aujourd’hui la clinique de Châteaubriant, qui est la plus petite du groupe...
Quand s’est constitué le syndicat FO dans la clinique ?
Le syndicat a été créé en 2011, sous l’impulsion de Martine Delhaye, ancienne déléguée syndicale, et élodie Amauce, actuelle secrétaire du Comité d’établissement. Il s’agissait alors de défendre les intérêts des personnels, suite à l’annonce du rachat de la clinique par Vivalto. Les inquiétudes étaient grandes. Le syndicat a permis de négocier en 2012 avec la nouvelle direction un accord d’entreprise mettant en oeuvre une prime de 12 heures et portant le point à une valeur légèrement supérieure à la convention collective. Depuis, la valeur du point a été augmentée au niveau de la branche, pour être au même niveau que l’entreprise. Nous n’avons donc connu aucune augmentation de salaires depuis 5 ans. Seules certaines prestations concernant les oeuvres sociales ont été améliorées. Les salaires, rien.
Quelle est l’évolution des conditions de travail des personnels depuis 2012 ?
Elles se sont dégradées. Un service entier, tout un étage, a été fermé. Il a été remplacé par des bureaux de consultations, loués à des médecins libéraux. Cela représente une suppression de 30 lits. Par ailleurs, 39 postes ont été supprimés depuis 2012: 23 postes ont ainsi été transférés au sous-traitant Sodexo, tandis que 16 départs n’ont pas été remplacés. Sur les 23 postes transférés à Sodexo, il ne reste plus que 13 agents de ménage, là encore suite à des départs non remplacés et des départs volontaires... La quasi-totalité des CDD, permettant de compenser des absences ponctuelles, a été supprimée. C’est un cercle vicieux. Dès que l’activité augmente, nous sommes dans le rouge. Forcément, la qualité d’accueil des patients se dégrade et la réputation de la clinique baisse. C’est un des arguments que nous faisons valoir auprès de la direction, lorsque celle-ci nous présente les difficultés financières de la clinique.
Ce sont autant d’éléments qui ont conduit au caractère massif de la grève du 23 novembre, à laquelle vous avez appelé...
Cinq ans de gel des salaires, c’est long, d’autant que l’inflation a augmenté de 5 % sur la même période. La goutte d’eau est intervenue, lorsque nous avons appris l’inégalité de répartition des primes entre les cadres et les non-cadres. La question n’est pas de remettre en cause les primes d’objectifs des cadres, mais l’absence d’augmentation sous forme de prime pour les non-cadres ! Un fort sentiment d’injustice a saisi les personnels, d’autant que la direction a rejeté la majorité des propositions de FO lors de la deuxième réunion des négociations annuelles obligatoires (NAO).
De plus, nous étions confortés par l’expérience du 2 octobre dernier, lorsque la quasi-totalité des effectifs s’était déjà mise en grève à l’appel de FO pour contrer un plan néfaste de la direction concernant le bloc chirurgical. La direction souhaitait en effet allonger les plages horaires des personnels du bloc, afin de diminuer le nombre de salariés présents par jour, et y envoyer des personnels non formés. Nous avons réussi à trouver un compromis sur le premier point et obtenu l’embauche d’un salarié en salle de réveil.
Peux-tu nous présenter ces NAO ?
Lors de la première réunion, nous avons présenté nos revendications à la direction. Nous demandions une prime d’assiduité de 25 € pour l’ensemble des personnels, l’’extension de la prime de 12 heures pour les personnels de nuit, ainsi que la subrogation à partir du 4ème jour d’arrêt de travail. Il faut tout de même savoir que le premier point, c’est-à-dire les 25 € de prime d’assiduité, ne représente au total que 30 000 € sur une année. L’extension de la prime de nuit correspondait quant à elle à un engagement donné par la direction lors des NAO de l’année précédente. Quant à la subrogation du 4ème jour, c’est une simple avance de frais, permettant au salarié de ne pas avoir de perte momentanée de salaire, le temps que se mette en oeuvre la prise en charge de la Sécurité sociale, ainsi que la prévoyance (pouvant durer plus de deux mois à la clinique).
Lors de la deuxième réunion, la direction a accepté l’extension à 100% de la prime de 12 heures pour le personnel de nuit mais, comme je l’ai dit, ce n’était que la confirmation d’un engagement passé et le complément des 65 % obtenus l’année précédente. Concernant la subrogation, elle a refusé dans un premier temps. Face à la menace que nous avons brandie d’un mouvement de grève, elle a cédé sur la subrogation. Mais toujours rien sur les salaires ! Clairement, le compte n’y était pas.
Que se passe-t-il alors ?
Nous discutons entre nous dans le syndicat et avec les collègues. Par sa surdité, la direction nous contraint à déposer un préavis de grève. Nous choisissons la date du jeudi 23 novembre, qui correspond à l’inauguration d’un nouvel IRM sur l’hôpital. Nous déposons ce préavis, non par plaisir, mais pour imposer des négociations.
Comment réagit la direction ?
Elle déclare que tant qu’il y aura un préavis, la négociation est finie. Elle me demande de signer un PV de désaccord, ce que je refuse. Elle souhaite par ailleurs me rencontrer, à la veille de la grève, mais sans aucune proposition. Je refuse encore. à chacun ses responsabilités. dans le même temps, j’informe la presse locale de notre appel à la grève.
Comment se déroule la grève ?
La grève commence à 6h45. Le relais des personnels de nuit ne se fait pas. La direction s’attendait sans doute à un service minimum. Il n’y en aura pas. Plus de 90 % des personnels sont en grève. Le bloc est avec nous. Franck Allain, le secrétaire de l’Union locale FO de Châteaubriant est auprès de nous toute la journée. Nous sommes en lien également par téléphone avec Gérard Caillon, secrétaire de l’Union locale de Saint-Nazaire, et Yann Le Fol, secrétaire du Groupement départemental FO Santé. La direction compte sur les agents référents, sur les élèves en place et sur les collègues en CDD, qui avaient été recrutés en urgence suite à cinq démissions au bloc liées à la dégradation des conditions de travail, pour faire tourner la clinique. Ce n’est seulement qu’à 14h00 qu’une délégation FO est reçue par la direction. Cette dernière ne cède sur rien. Elle agite la menace d’un transfert des patients sur Rennes. Nous pensons alors que c’est un coup de bluff, mais nous apprendrons peu de temps après que tout était préparé en ce sens. L’Agence régionale de Santé y appose finalement son veto. En fin d’après-midi, confrontée à un tel blocage, l’assemblée générale des grévistes décide à l’unanimité la reconduction de la grève.
Quelle issue a été trouvée du coup?
Lorsque l’inauguration de l’IRM a commencé, une délégation FO est allée à la rencontre de Monsieur Alain Hunault, le maire de la commune. Celui-ci est alors accompagné d’un chirurgien de la clinique, qui reçoit au même moment un appel de la direction l’informant du transfert de ses patients à Rennes. Pour la clinique, ce serait un coup de grâce. Pour la commune, un coup dur également. Monsieur le maire et le chirurgien tentent dans un premier temps de convaincre les grévistes de «faire un pas» vers la direction. Mais il ne pouvait en être question. Monsieur le maire s’est donc tourné vers la direction et, à trois reprises, il a fait le lien entre les grévistes et la direction. à 18h00, il annonce que la direction est prête à discuter. Tout le monde était derrière moi, en tant que négociateur, pour dire qu’on ne lâcherait rien. La direction propose le paiement de la prime en deux fois: 12,50 € en 2018 et 12,50 € en 2019. Dans un élan unanime, les grévistes disent non. La situation est bloquée. C’est alors que le camarade Freddy Delhaye propose d’y ajouter le paiement de la journée de grève. Un vote est organisé. La quasi-totalité des grévistes accepte le principe du versement de la prime en deux fois, si la journée de grève est payée. Sur la base de ce mandat, je retourne vers la direction. Cette dernière s’offusque à l’idée de payer une journée de grève. Pour autant, elle a bien compris que c’était la seule solution pour débloquer la situation. Une solution est donc trouvée et nous obtenons satisfaction.
Quel enseignement tires-tu de cette grève victorieuse ?
Une telle grève implique un bras de fer intense. La tension était très forte. J’ai pris la mesure de ce dont était capable la direction : le transfert des malades à Rennes signifiait la mort de la clinique. Les responsabilités sont donc énormes. Sans l’appui de l’ensemble des personnels, cela aurait été impossible. C’est tous ensemble que nous pouvons faire bouger les lignes. Par ailleurs, l’aide que nous a apportée l’Union locale a été déterminante.
Note de la rédaction :
Nous lisons sur le site du groupe Vivalto Santé que la composition de son actionnariat, partagé entre 2/3 d’investisseurs financiers et 1/3 de praticiens, serait « originale ». Les dirigeants du groupe ont même donné à ce partenariat un petit nom... qui n’a rien d’original : « La Troisième voie ». Les mots ont un sens. Cette notion de « Troisième voie » renvoie à un modèle corporatiste de la société, issu de la doctrine sociale de l’église, qui nie à la classe ouvrière la liberté de s’organiser par elle-même et pour elle-même, afin de défendre ses intérêts matériels et moraux.