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19 avril 2018

Du conseil au contrôle, chômeurs et agents de Pôle Emploi sous pression

Contribution de Nicolas Sole, syndicaliste OSDD44 (Pôle Emploi)

Différentes sources, dont une étude commandée par la patronat (1), démontrent que les demandeurs d'emploi ne sont pas responsables de la dette de l'Unédic. Cette dernière est liée en réalité aux ponctions qu’effectue l'état pour financer Pôle Emploi.
Pourtant, le gouvernement actuel a décidé d’incriminer les chômeurs. Responsables politiques et patronaux réclament sans cesse plus de contrôle, plus d'obligations, plus de sanctions. Ils nient de fait la dimension économique du chômage pour se focaliser sur son seul aspect sociétal.
Le président de la République, Emmanuel Macron, a donné le ton dans une interview au magazine Le Point le 31 août dernier : « Au deuxième refus [d’un emploi proposé], les droits seront perdus. En revanche, si les compétences du chômeur ne sont plus adaptées, il devra pouvoir être formé ou reformé »… Former les inadaptés et sanctionner les « fainéants » (2) : voilà en synthèse une partie du projet que devrait porter Pôle Emploi.

Après s'être attaqué violemment aux droits des salariés avec la loi Travail et les Ordonnances, tandis que la réforme du bac s’inscrit dans une logique d'individualisation des parcours de formation au détriment à terme des garanties collectives des salariés, les gouvernements successifs soumettent de plus en plus les missions et les moyens de Pôle Emploi aux diktats libéraux. Cela se décline en trois actes, qui concernent aussi bien les demandeurs d'emploi que les conseillers chargés de leur « suivi »...


Acte 1
Le contrôle de la recherche d'emploi… et le contrôle des conseillers
Tout en faisant partie des « missions » dévolues aux conseillers, le contrôle de la recherche d'emploi a toujours été dilué dans une approche globale, qui visait surtout à responsabiliser le demandeur d'emploi dans ses démarches, sur la base notamment d’un « diagnostic partagé ».
La direction générale (DG) de Pôle Emploi peine ainsi à imposer aux conseillers une logique de contrôle, notamment dans un contexte de licenciements massifs liés à la crise financière de 2008, mais également de mise en œuvre chaotique au 1er janvier 2009 de la fusion de l’ANPE et des Assédics.
Dans un premier temps, la DG a cependant réussi à imposer le cloisonnement de tous les métiers de Pôle Emploi : l’indemnisation, le conseil, la relation entreprise et... le contrôle. Quelque 200 conseillers sont ainsi devenus contrôleurs à plein temps. Fin 2017, elle annonce à la fois des milliers de suppressions de postes dans les trois prochaines années et la multiplication par 7 du nombre des contrôleurs… pour les porter à 1500.
Dans le même temps, des procédures de contrôles individuels des conseillers et des cadres de Pôle Emploi font leur apparition. Elles se multiplient même, toujours à la discrétion d'une hiérarchie qui vérifie les « compétences » professionnelles des uns et des autres, les « savoirs être » et les facultés d'adaptation ou d’adhésion des personnels aux changements incessants qu'ils subissent…

Acte 2
« Approche compétence » et « Conseil en évolution professionnelle »  
Désormais, la mise en avant des « compétences » est le nec plus ultra pour décrocher un « job » ! C'est tellement vrai que Pôle Emploi institutionnalise actuellement cette « Approche Compétence » à grand renfort de formation : « Hard Skills » (« savoir-faire »), « Soft Skills » (« savoir-être ») et « Mad Skills » (créativité, mais surtout capacité à s'adapter) s'immiscent dans le vocabulaire professionnel du conseiller Pôle Emploi, comme autant de gages d'une prétendue « modernité ».
Les travailleurs devront s'adapter aux inéluctables évolutions du marché du travail (disparitions et apparitions de métiers), mais aussi à son fonctionnement « moderne » : l'expérience et les diplômes (donc les rémunérations qui vont avec) sont bien moins importants que les « compétences » et le « savoir être ».
Au travers du « Conseil en évolution professionnelle » et de l’« Approche compétence », les conseillers de Pôle Emploi devront consacrer une part importante de leurs missions à orienter la recherche d'emploi vers les besoins immédiats du marché du travail, aux conditions que les entreprises imposent.
Pour s'assurer d'une adhésion inconditionnelle des personnels de Pôle Emploi à ces objectifs, dans un contexte de « rationalisation » des moyens, la DG fait imposer par les hiérarchies intermédiaires nombre d'entretiens et d'audits individuels, visant à contrôler si les conseillers rendent le « bon » service aux demandeurs d'emploi. Car, en réalité, nombre de conseillers sont attachés au rôle d’amortisseur social que joue Pôle Emploi, à travers lequel les individus sont légitimes à revendiquer des niveaux de salaires en lien avec leur expérience et leurs diplômes.

Acte 3
La main sur le portefeuille des demandeurs d’emploi… et des conseillers !
Si l'assurance chômage venait à être étatisée (3), la redistribution des allocations chômage garantie par le paritarisme ne serait plus fléchée : l'état deviendrait le seul donneur d'ordres à Pôle Emploi en matière d'indemnisation. Il pourrait ainsi déterminer le montant des allocations comme bon lui semble : un montant forfaitaire par exemple, et non plus basé sur les salaires antérieurs. Il pourrait décider seul des règles de cumul chômage/travail, qui concerne aujourd’hui les millions de demandeurs d'emploi naviguant dans la précarité d'un retour à l'emploi chaotique. Ce faisant, une pression individuelle accrue s'exercerait sur les revenus des travailleurs privés d'emploi qui n'auraient pas d'autres choix que de « s'adapter » et d'accepter les propositions qui leur seraient faites… Quant au patronat, en plus d'être exonéré de sa responsabilité sur le chômage, il se verrait offrir un cadeau supplémentaire sous forme de baisse de « charges ».
Pour bien préparer le terrain à cette sinistre « réforme », la DG de Pôle Emploi s'emploie à mettre en œuvre une destruction méthodique du métier de l’indemnisation, sous couvert de progrès technologique et de baisse de charges en trompe l’œil. Concrètement, en 2017, environ un quart des effectifs de l’indemnisation ont été supprimés, suite à des changements imposés de métiers et au non remplacement des départs en retraite... et ce n'est qu'un début !
Un accord dit de « gestion prévisionnelle des emplois et des compétences » (GPEC) a été signé par la CFDT, la CFTC et la CGC pour faire passer la pilule et acheter à bon prix un peu de paix sociale : quelques centaines d’euros ont été versés aux agents qui se sont réorientés en interne. Dans les faits, le résultat est catastrophique pour les conditions de travail des personnels assurant l’indemnisation : les retards de traitement sont généralisés ; les demandeurs d'emploi qui déclarent du travail sont régularisés tardivement ; la réclamation devient à certains endroits le seul moyen d'être payé.
Le service rendu est tellement dégradé, en dépit de tous les efforts fournis par les personnels, que l'on peut imaginer une opinion publique – déjà hostile à Pole Emploi – accueillir sans sourciller la possible étatisation de l'assurance-chômage, voire la mise en place d'un forfait. Qui veut tuer son chien raconte partout qu'il est malade...
Alors que débutait la « concertation » sur l'assurance chômage, l'accord « Classification » mis en échec par Force Ouvrière en 2014 a été valablement signé le 22 novembre 2017 par les mêmes : CFDT, CFTC et  CGC.
Cette « classification » est la version Pôle Emploi de la Révision générale des politiques publiques (RGPP – Sarkozy), de la Modernisation de l’action publique (MAP – Hollande) et du Programme « Action Publique 2022 » (Macron). Elle grave dans le marbre l'individualisation à outrance des rapports de travail et permet la montée en puissance de la rémunération au « mérite », afin de sanctionner par ce biais tous les agents dont le « savoir être » et les « compétences » ne seraient pas conformes aux orientations stratégiques de l'établissement.
Cet accord « Classification » constitue une première brèche dans la convention collective nationale de Pôle Emploi, dont il dégrade certains droits. Il vise de plus à faire tomber l'accord de déroulement de carrière automatique des Pays de la Loire… Ce dernier constitue en effet un rempart régional, garantissant à l’ensemble des agents un déroulement de carrière automatique et, ce faisant,  une forme de liberté de conscience et d'exercice dans leurs missions. La défense de cet accord de déroulement de carrière automatique est la première des batailles à mener dans les semaines qui viennent.


Comme on le voit, le contrôle hiérarchique des agents de Pôle Emploi est le pendant du contrôle subi par les demandeurs d’emploi. De la même manière, l’accord « Classification » impose une pression d’ordre pécuniaire sur les personnels, en même temps que s’accentue la pression sur les revenus des chômeurs. Quand le syndicat Force Ouvrière combat les reculs sociaux à l'intérieur de Pôle Emploi, il défend par ricochet la qualité d'un vrai service public de l'emploi et les intérêts particuliers des demandeurs d'emploi.

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(1) http://www.institut-entreprise.fr/les-publications/la-nouvelle-assurance-chomage.
(2) Les « fainéants » décidément pullulent, puisque tous les records de chômage ont été battus au printemps 2017 avec 6 612 700 demandeurs d’emplois au niveau national... 
(3) Rappelons ici que les cotisations salariales chômage ont disparu au profit de l’augmentation de la CSG, qui est un impôt.
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Article connexe : Les enjeux de la réforme de l’assurance chômage