Confédération Européenne des Syndicats - Dossier réalisé par Jacques Moisan paru dans L'OS n°739
La Confédération européenne des syndicats (CES) a tenu son congrès du 23 au 26 mai 2023 à Berlin, en Allemagne. Le président de la CES, Laurent Berger, y a soumis au vote une Charte des Valeurs. Elle est présentée comme une véritable résolution de congrès : « La CFDT entend bien garder un rôle central à la CES, comme en témoigne la cinquantaine d’amendements qu’elle a déposés, et son projet d’une « Charte des valeurs » (inspirée de ses propres statuts) réaffirmant l’incompatibilité entre syndicalisme et extrême droite. Retenue par la CES, cette charte devrait donc prendre la forme d’une résolution de congrès, lui conférant ainsi une forte valeur politique et symbolique ». (Source : site CFDT)
La Charte confirme toutes les orientations précédentes de la CES, mais en les aggravant. Il serait fastidieux de citer toutes les « trahisons » de la CES. Une seule suffira. En 2010, c’est une nouvelle contre-réforme des retraites. Dans un éditorial de L’Ouest-Syndicaliste, « les inopportunités de la CES », Patrick Hébert rappelle que « la CES juge inopportune, aujourd’hui, le recul légal ouvrant droit à pension ». Aujourd’hui, mais pas demain, il précise : « que la CES va jusqu’au bout de sa logique d’accompagnement de la politique de l’Union européenne. De fait, elle n'approuve les fonds de pensions qu’avec beaucoup de pudeur, elle les appelle les systèmes privés fondés sur les marchés financiers ».
Ce que fait et dit la CES ne devrait raisonnablement pas surprendre. FO a ses propres statuts… et ça lui suffit. Par un vote d’abstention, FO a refusé de se soumettre. Elle a été la seule à le faire : toutes les autres confédérations, au nombre de 92, ont voté POUR.
L’histoire des statuts de la CFDT
Les statuts de la CFTC à sa création en 1919 font référence à l’encyclique de 1891, Rerum Novarum, sur la condition des ouvriers. La CFTC, dont est issue la CFDT lors de la scission en 1964, ne prêchait pas seulement la collaboration des classes. Elle « revendiquait » le corporatisme, c’est-à-dire l’association Capital-Travail que devait réaliser en 1941 la Charte du travail de Vichy. C’était un handicap pour syndiquer largement. Les statuts sont plusieurs fois « toilettés ». Une première fois, ils ne se réfèrent plus qu’à « l’humanisme chrétien » ; mais c’est toujours un handicap, puis à l’« humanisme ». Notons qu’en 1988, disparait des statuts la référence devenue inutile au « socialisme autogestionnaire » qui a fait couler beaucoup d’encre pour pas grand-chose ; le « socialisme autogestionnaire » n’étant qu’un variant (de gauche) du corporatisme. La doctrine de la CFTC-CFDT ne varie pas (source : site CFDT).
De la Charte du travail à la Charte des valeurs
L’article 7 de la Charte des valeurs proclame : « Europe: la CES soutient et promeut un projet d’intégration européenne et œuvre à consolider le rôle de l’Union européenne en tant qu’union politique capable de garantir la paix, la démocratie et le progrès social ». C’est un projet strictement politique. On n’a pas oublié qu’en 2005, la CES et la CFDT militaient pour le OUI au projet de traité constitutionnel. On se rappelle peut-être moins que notre Confédération, malgré toutes les pressions, avait voté dans les instances de la CES contre ce projet liberticide. La CGT s’abstenait(1). Le NON l’avait emporté largement. On se souvient de la suite.
On lit plus loin : « La CES et ses organisations affiliées accordent une grande importance à leur autonomie par rapport à l’État, aux partis politiques ou aux institutions religieuses et autres ».
L’autonomie ?
Notre Confédération ne se contente pas d’accorder une grande importance à l’indépendance, et non pas l’autonomie, vis-à-vis des Etats, des partis politiques, des institutions religieuses et des institutions internationales, dont la très sainte Union européenne, elle en fait même une question de principe. La Charte d’Amiens et celle du travail rebaptisée « des valeurs »(2) ne sont pas compatibles. Il ne s’agit pas de pinailler sur des questions de vocabulaire. Les pratiques qui en résultent sont opposées. Les syndicats FO défendent les revendications particulières des salariés, des travailleurs et de la jeunesse que le patronat cherche à exploiter toujours plus.
La doctrine du « dialogue social », au plan national ou européen que porte la CFDT-UNSA, c’est l’inverse. Le secrétaire général de l’UNSA a exprimé le point de vue des néo-chartistes : « Les pressions des populistes s’exercent sur nos organisations… certains travailleurs se disent que le syndicalisme devrait arrêter de parler des valeurs et se contenter de parler des questions sociales ou des questions d’emplois ou des questions économiques ». Quel aveu ! Selon ce M. Escure, « Certains travailleurs » – faut-il comprendre d’abominables « populistes », voire des « complotistes » ou même des « radicalisés » ? – considèrent que les syndicats devraient consacrer plus d’énergie à défendre les revendications. Ces travailleurs ont raison de le penser et ils feraient bien de rejoindre le syndicalisme confédéré libre et indépendant, c'est-à-dire FO. Un travailleur qui râle tout seul dans son coin, c’est du pain béni pour les exploiteurs et leurs subsidiaires « syndicalistes ».
Pour la pratique contractuelle, pas de grand’messe !
Il ne s’agit pas simplement de « parler » mais de gagner sur nos revendications, par la négociation d’abord, si c’est possible, par la grève ensuite si la négociation a échoué ou n’a pas pu avoir lieu.
Dans un texte intitulé : « Non au dialogue social, Oui à la pratique contractuelle », Michel Le Roc’h rappelait il y a quelques années : « Ce n’est pas un hasard si le président de la République souhaite réformer la constitution pour y intégrer cette dimension du dialogue social(3), les organisations syndicales devenant co-législatrices en matière de relation du travail d’emploi et de formation professionnelle ! Il s’agit là clairement d’une tentative de mettre en place un nouvel ordre corporatiste, fondé sur la négation de la lutte des classes. Les intérêts particuliers des salariés devant s’effacer devant l’intérêt général ».
Dans la continuité du congrès de la CES, notre Confédération a refusé de participer à une quelconque conférence sociale qui n’aurait à l’évidence pour seul objectif que de « tourner la page des retraites ». Avec une belle photo de « famille » que les télés et les journaux des milliardaires feraient tourner en boucle. On imagine bien un président de la République du coup d’état permanent hilare, tapotant la joue des camarades syndicalistes. Il n’est pas question, a déclaré Frédéric Souillot, de cautionner cette nouvelle opération de « com' » d’un pouvoir qui n’a d’ailleurs jamais été à ce point privé de toute base sociale et tenté par un autoritarisme qui inquiète jusqu’au sommet de l’ONU.
Toutes ces questions ne sont pas réservées à des « spécialistes » ni aux dirigeants des syndicats. Elles méritent d’être largement débattues dans toutes les instances syndicales.
(1) Bernard Thibault, le Secrétaire général de la CGT militait pour le OUI, contre l’avis de 80 % de son CCN et l’avis très largement majoritaire des adhérents. Cette fois, la CGT a voté OUI à la nouvelle Charte. La secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet a fait cette étrange déclaration pleine de zèle co-constructif : « Toutes les avancées européennes de la dernière période sont issues de nos luttes coordonnées par la CES ». (Source site national CGT).
(2) Est-ce seulement un hasard si le mouvement « EN MARCHE » a lui aussi sa « Charte des Valeurs » qui rassemblerait les « progressistes » opposés aux autres, les « populistes » ? Le Bien contre le Mal …
(3) « Protéger le modèle social français : Le dialogue social. Méthode privilégiée du Gouvernement, le dialogue social a permis en deux ans des avancées concrètes : réforme des retraites, de la formation professionnelle, sécurisation de l'emploi... Présentée en Conseil des ministres le 22 avril 2015 et adoptée définitivement par le Parlement le 23 juillet, la loi relative au dialogue social et à l'emploi a été validée le 13 août par le Conseil constitutionnel. Une décision qui ouvre la voie à une rénovation en profondeur du dialogue social dans notre pays et œuvre en faveur de l’emploi et de l’activité ». (Source : site du gouvernement).
Extrait d'une intervention de la délégation FO devant le congrès
Pour FO, l’indépendance syndicale et non l’autonomie
Je voulais revenir sur une valeur fondamentale à l’origine de la CES, qui nous semble pourtant quelque peu dévoyée dans cette Charte des valeurs, celle de l’indépendance syndicale. Certes affirmée par la CES en 1973 dans un contexte historique marqué par la guerre froide, la valeur d’indépendance syndicale s’inscrit dans un courant historique et syndical qui précède les grands conflits du XXème siècle. Il renvoie par exemple en France à la Charte d’Amiens de 1906, un des textes fondamentaux du syndicalisme français encore aujourd’hui, et auquel nos adhérents sont profondément attachés. Indépendance ne signifie pas autonomie et il nous est donc inconcevable de soutenir un texte qui parle d’autonomie vis-à-vis des pouvoirs politiques et économiques ! Pour FO, l’indépendance syndicale vis-à-vis de toute structure ou influence extérieure est une nécessité et la condition indispensable à la représentation et à la défense efficace et permanente des droits et intérêts matériels et moraux des travailleurs, salariés actifs, chômeurs et retraités.»
=> L'OUEST SYNDICALISTE (Le journal d'information syndicale en Loire-Atlantique)