où comment la « finance » continue de piller les budgets publics et sociaux
S’il fallait encore un exemple du pouvoir de nuisance de la finance sur l’économie réelle, avec comme victimes collatérales les budgets publics et sociaux, les salariés et les citoyens, l’Irlande en offre un significatif.
Les Irlandais vont en effet devoir subir un plan d’austérité particulièrement sévère alors qu’une fois encore, les principaux responsables sont à trouver du côté des banques, des agences de notation et des marchés financiers. Alors que les premières sont à l’origine des difficultés que traverse le pays, les marchés financiers mais également les atermoiements européens en matière de solidarité financière entre Etats membres Expliquent largement l’amplification de la crise et son glissement vers la question plus générale de la « soutenabilité des dettes publiques ».
Il faut préciser tout d’abord que les difficultés que rencontre l’Irlande sont connues depuis longtemps.
Avec un mode de croissance fondé pour l’essentiel pour et par la finance, en particulier selon un endettement privé très élevé et un système socio-fiscal largement favorable au monde des entreprises, l’Irlande, comme le Royaume-Uni, l’Espagne et, dans une moindre mesure, le Portugal, sont en Europe de ces pays qui sont allés le plus loin dans la mise en œuvre du modèle de croissance anglo-saxon néolibéral.
Dans le cas irlandais, la dynamique de l’endettement privé (ménages et sociétés non financières) a été particulièrement vive. Rapportée aux PIB, la part de l’endettement privé a même doublé, passant de 100 à 200% entre 2000 et 20101 ! Porté et entraîné par le système bancaire, l’endettement privé a contribué à alimenter une bulle immobilière, pas seulement en Irlande mais également au Royaume Uni et aux Etats-Unis.
Particulièrement exposé au retournement du marché immobilier, c’est à dire au non remboursement d’un volume gigantesque de crédits immobiliers octroyés – l’exposition des banques irlandaises aux prêts hypothécaires n’est même pas encore complètement connue –, le système bancaire irlandais présente aussi la caractéristique d’être surdimensionné avec des engagements qui représentent plus de huit fois le PIB national (quelques 1340 milliards en 2010). À ce titre, il pèse très lourd dans l’économie nationale.
Très dépendante d’un système bancaire et financier hypertrophié et en grandes difficultés depuis l’effondrement du marché immobilier, l’Irlande se trouve donc depuis l’éclatement de la crise en 2008 dans une situation très tendue.
Depuis septembre dernier, l’étau s’est brutalement resserré sur la situation irlandaise avec l’annonce par la Banque Centrale d’Irlande d’un plan de recapitalisation de ses banques d’un montant avoisinant les 50 milliards. Preuve de l’urgence de la situation, la banque centrale a également réitéré le maintien de la garantie des dépôts des particuliers.
Entre temps, les différentes mesures de soutien aux banques (nationalisation et recapitalisation) ont provoqué une dégradation extrêmement violente des finances publiques. Le déficit public irlandais avoisine ainsi les 32% du PIB (7,8 % en France) quand, il faut le rappeler, le pacte de stabilité interdit de dépasser les 3% du PIB ! Preuve, une fois de plus, que ce pacte n’a plus aucun sens si tant est qu’il est pu en avoir un jour.
Que doit-on comprendre de la crise actuelle de l’Irlande ?
D’abord que le secteur bancaire irlandais n’a pas retrouvé la confiance des marchés et des investisseurs malgré son sauvetage, passé et à venir, et malgré les efforts et la rigueur déjà déployés depuis prés de deux ans par l’Irlande pour endiguer l’emballement de ses finances publiques.
Que veulent les marchés? Tout simplement l’assurance que ce pays et l’Europe se porteront au secours du secteur bancaire, et donc au secours de leurs propres créances, sans que ne leur soit demandée la moindre participation au financement de ce dernier !
En effet, ce qui a précipité les récentes difficultés irlandaises, est bien l’annonce lors du dernier sommet européen (sous la pression allemande) de la possibilité que les dettes publiques soient restructurées : en d’autres termes que les créanciers privés (parmi lesquels beaucoup de banques européennes), détenteurs de titres de dette publique, acceptent de perdre une partie de leur capital, et ce faisant, participent alors de fait au financement des sauvetages bancaires.
Ce qui depuis le début tombe sous le sens à savoir que les contribuables, les salariés, les citoyens ne soient pas les seuls à supporter les errements du secteur bancaire et que le fardeau de la dette soit enfin supporté par ceux qui ont pris des risques et perçus des intérêts élevés, a donc provoqué une nouvelle chute des cours de titres de dette des pays dits « périphériques », parmi lesquels l’Espagne et le Portugal. Corrélativement s’en est suivie une dégradation de leurs conditions de financement.
Pour l’heure, le plan d’aide de l’UE à l’Irlande devrait prendre la forme d’une enveloppe de 85 milliards d’euros environ, financé pour un tiers par le Fonds monétaire international (FMI) et pour les deux tiers par l’Europe (à la fois sur son budget, par l’intermédiaire du Fonds européen de stabilité financière (FESF) et par des prêts bilatéraux du Royaume-Uni et de la Suède).
En contrepartie, le plan d’austérité que les Irlandais vont devoir subir s’annonce d’une grande violence sociale en visant 15 milliards d’économies d’ici 2014 : réduction du salaire minimum, réduction des allocations sociales, réduction des indemnités chômage, baisse du nombre et du traitement des fonctionnaires et augmentation des impôts pesant sur les ménages. Et cela alors que le taux de chômage avoisine les 14,1% et que le système de protection sociale a déjà été ramené à sa portion congrue. Dans ces conditions, le gouvernement irlandais a pourtant décidé de ne pas revoir à la hausse sa fiscalité des sociétés (en théorie de 12,5%), l’une des plus faibles en Europe et qui vaut à nombre de grandes multinationales (Microsoft, Intel, Google et bientôt Facebook) qui y ont établi leur siège d’échapper quasiment à tout impôt.
Finalement de quoi dépend le sort de millions de salariés et de ménages en Irlande ? De la psychologie des marchés ! Plus précisément du degré de confiance que les marchés financiers placent dans l’efficacité du sauvetage irlandais et dans celle des plans d’austérité partout mis en œuvre ! Tel est l’immense pouvoir que l’économie financiarisée a désormais sur les Etats, les salariés et les citoyens.
Force Ouvrière ne cessera de rappeler que la crise financière n’a pas été provoquée par des politiques budgétaires publiques excessives. Au contraire, les Etats membres ont fait preuve d’une trop grande modération en la matière. Ainsi l’OFCE nous rappelle que la part des dépenses publiques dans le PIB a même baissé entre 1997 et 20079. C’est fondamentalement le sauvetage des systèmes bancaires et la récession provoquée par la crise bancaire et financière qui est la cause de la dégradation brutale des déficits publics en Europe – avec un déficit public moyen de 0,6% en 2007, la crise l’a fait grimper à 7% en 2010 !
Cet exemple irlandais, véritable « réplique » du séisme de 2008, démontre que cette crise mondiale est toujours en vigueur et que ses causes sont toujours aussi actives.
Dans ce contexte, l’aberration du pacte de stabilité est, une fois de plus, une évidence. En se focalisant sur l’endettement public alors que la crise vient fondamentalement de l’endettement privé, les critères de convergence budgétaire se trompent sciemment de cible mais en plus ils font courir le risque d’accroître les inégalités tout en annihilant tout espoir de reprise économique.
Non seulement la crise n’a, en aucune manière, remis en cause le pouvoir de la finance mais elle a finalement permis aux tenants de l’orthodoxie budgétaire la plus dure d’imposer définitivement leur dogme idéologique d’un Etat sans dette et livré encore un peu plus aux seuls diktats du marché.
Tout un programme qui impose notre vigilance, notre combativité et notre opposition permanentes.
Pascal Pavageau, Secrétaire confédéral
Jean-Claude Mailly, Secrétaire général