InFOrmation syndicale

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29 avril 2013

LE CRIME DE L’AMIANTE RESTE IMPUNI


En France, l’amiante aura fait 100.000 morts en 2025. Les victimes et leurs proches sont toujours dans l’attente d’un procès pénal pour établir les responsabilités de chacun, à commencer par celle des pouvoirs publics qui ont laissé le champ libre au lobby des industriels. 


L’amiante, c’est un crime sociétal dans la continuité du charbon, tout le monde s’y est mis, dénonce Jean Paoli, ancien travailleur de l’amiante et expert auprès de FO. Ni l’État, ni les pouvoirs publics, ni l’INRS, ni la CNAM n’ont fait leur travail.»

L’usage de ce matériau, qui présente de graves risques sanitaires lorsqu’il est inhalé, s’est développé depuis la fin du XIXe siècle (voir encadré en pages 14 et 15). Malgré les premières alertes par l’inspection du travail dès 1906 et une nocivité avérée depuis les années 1960, il n’a été interdit en France qu’en 1997, plusieurs années après l’Italie, l’Allemagne ou le Danemark. Pourtant la Sécurité sociale reconnaît l’asbestose, une insuffisance respiratoire irréversible, comme maladie professionnelle depuis 1945.

«Durant les Trente Glorieuses, le slogan était “travaille et tais-toi”, poursuit Jean Paoli. Les patrons faisaient ce qu’ils voulaient. L’amiante entrait dans le champ d’application des poussières totales, même si les poussières tombent au sol alors que l’amiante reste en suspension.»

C’est seulement en 1977, après la publication d’une étude mettant en évidence les effets cancérigènes de l’amiante, qu’un décret fixe pour la première fois une valeur limite d’exposition des travailleurs. Le Royaume-Uni l’avait fait quarante-six ans plus tôt.

LES MALADIES PROFESSIONNELLES RECONNUES DEPUIS 1945 

«On ne le savait pas à l’époque, mais c’était complètement décalé par rapport à la dangerosité du produit, il aurait fallu tout simplement l’interdire, poursuit Jean Paoli. En plus, les mesures des contrôles d’empoussièrement étaient confiées aux entreprises, qui ne publiaient que les bons résultats. Si la loi avait imposé un audit externe, elle aurait été plus efficace.»

Par la suite, alors que les connaissances sur la dangerosité de l’amiante se sont affinées, appelant à davantage de précaution, les pouvoirs publics ont littéralement délégué la politique de prévention au lobby des industriels du secteur via le Comité permanent de l’amiante (CPA). Grâce à son action, il a réussi à retarder de plusieurs années l’interdiction de la fibre tueuse, en toute connaissance de cause. En 2004, le Conseil d’État a reconnu la responsabilité de l’État pour sa carence fautive dans son obligation de protection des travailleurs. Son inertie a aussi été dénoncée en 2005 dans un rapport du Sénat. L’histoire semble à peine croyable.

Le CPA est créé en 1982, grâce à des financements de l’Association française de l’amiante (AFA). Cette structure est imaginée par Marcel Valtat, dirigeant du cabinet Communications économiques et sociales (CES), spécialisé dans la promotion d’industries sensibles. La présidence est confiée à Dominique Moyen, responsable de l’INRS, l’organisme officiel de la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Sans statuts juridiques ni pouvoirs officiels, il regroupe de manière informelle différents partenaires liés à la question de l’amiante: des industriels, des hauts fonctionnaires issus de différents ministères, des scientifiques, des médecins, des représentants d’organismes de prévention et de défense des consommateurs. Ils y prennent part par ignorance, pour préserver l’emploi, un intérêt économique, se laissent duper par les beaux discours... Toutes les confédérations syndicales y ont siégé sauf FO, qui, par la voix de Paul Malnoë, délégué des chantiers navals de Saint-Nazaire et administrateur à l’INRS, a dénoncé le double jeu du CPA dès 1986.

LE MENSONGE DE L’EFFET DE SEUIL 

C’est au siège de l’agence que se réunissent chaque mois une vingtaine de personnes, censées débattre et informer sur l’amiante. Des scientifiques de renom lui donnent une légitimité de façade. En cas de contestations, les membres du CPA calment les angoisses du grand public à coups de statistiques et de débats d’experts.

Au fil du temps, le lobby parvient à imposer le CPA comme interlocuteur privilégié sur la question. Les pouvoirs publics lui délèguent de fait la gestion de l’amiante et le consultent avant de légiférer sur la question. Il mène aussi ses actions à l’international. En 1986, en se basant sur un rapport du CPA, la France émet un avis négatif à l’interdiction de l’amiante aux États-Unis. La fibre y sera finalement bannie trois ans plus tard. En 1991, il obtient gain de cause face à l’Allemagne qui souhaite la faire interdire dans toute la CEE.

«Leur principal mensonge, c’est d’avoir fait croire qu’un usage contrôlé de l’amiante était inoffensif, dénonce Jean Paoli, expert pour FO. En 1996, l’Académie de médecine osait encore soutenir ce concept dans un rapport. Alors que, dans les faits, même une exposition très faible peut aboutir à une pathologie grave.»

La polémique a commencé à enfler en 1995, après un rapport de l’INSERM établissant de manière certaine le caractère cancérigène de l’amiante et surtout la parution d’une enquête de Sciences et Avenir révélant les coulisses du CPA. Les syndicats et les ministères annoncent leur intention de ne plus siéger et la structure s’autodissout en septembre.

Aujourd’hui, plusieurs de ses membres sont mis en examen dans le cadre de l’instruction pénale autour du scandale de l’amiante. Les victimes attendent ce procès depuis dix-sept ans afin de comprendre comment on a pu laisser des industriels tuer 100.000 personnes durant près d’un siècle, en toute impunité.
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Clarisse Josselin - cj@force-ouvriere-hebdo.fr