InFOrmation syndicale

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03 juillet 2013

LES PARADIS FISCAUX CONTRE LE MONDE DU TRAVAIL

Tricheurs, fraudeurs et autres malandrins de la finance

Il n’y a pas que quelques personnalités célèbres du monde de la politique, des arts ou du sport qui pratiquent l’évasion fiscale. La grande majorité de cette évaporation provient de quasiment toutes les multinationales. 
En 1982, Jacques Dutronc, l’ami des chats corses, chantait «Savez-vous planquer vos sous». La deuxième strophe de cette chanson était prémonitoire: «Lessiveuse, bas de laine, allez-y c’est tricolore. Pour chiffrer l’impôt dehors, allez-y c’est inodore. Import, passeport, export, allez-y c’est sans remords.»


Trente ans avant, la messe était déjà dite, et pourtant à l’époque la mondialisation au centième de seconde, grâce à l’informatique et à Internet, n’en était qu’à ses balbutiements et le transfert de fonds dans les paradis fiscaux se faisait à coups de malettes.

Un paradis fiscal est un pays, ou un territoire, où la fiscalité est très faible. Une zone franche constitue aussi un paradis fiscal à l’intérieur d’un pays.

Les caractéristiques du paradis fiscal sont les suivantes:
- faible niveau d’imposition;
- dépenses publiques réduites;
- liberté des changes;
- secret commercial et bancaire fort;
- secteur financier hyper développé;
- impunité judiciaire pour les fraudeurs;
- stabilité économique et politique.

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui n’est pas vraiment altermondialiste, forte de quarante-quatre pays membres, a publié au début de cette année un rapport d’une centaine de pages, intitulé: «OCDE–2013. Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices». D’entrée, elle déclare: «Seuls les naïfs paient leurs impôts.» Depuis quelque temps, elle travaille à la mise en place d’outils pour lutter contre les paradis fiscaux et autres places offshore. Outils qui pourraient être utilisés par les États, les gouvernements, l’UE... D’autant plus que depuis peu, les dirigeants américains et européens brandissent l’étendard de la lutte contre les pirates de la finance. Pour l’instant, tout cela est en partie resté un vœu pieux. Mais l’OCDE continue à travailler pour élaborer des outils capables de combattre ces paradis. Dans l’introduction de son étude, elle déclare: «L’érosion de la base d’imposition fait peser des risques réels, des menaces sur les recettes, la souveraineté et l’équité fiscale dans les pays membres de l’OCDE, comme dans les pays non membres.» Elle souhaite la transparence sur les taux d’imposition effectifs auxquels sont soumises les multinationales. À noter que dès 2006, deux ans avant la première crise financière, le Forum de l’administration de l’impôt, qui s’était tenu à Séoul, dénonçait déjà les pratiques fiscales de certaines multinationales et demandait que les administrations fiscales des pays membres de l’OCDE coopèrent entre elles en échangeant des informations. Et le rapport de 2013 d’enfoncer le clou: «Les normes fiscales internationales doivent évoluer au même rythme que les pratiques des multinationales.» En clair, puisque les multinationales multiplient les filiales et sous-filiales, l’OCDE préconise «d’évaluer les risques d’indiscipline fiscale en améliorant la transparence», et souhaite au plus vite mettre sur pied un «Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales». Bon courage! Selon un diplomate membre de cette organisation qui souhaite garder l’anonymat: «On y travaille d’arrache-pied, mais je doute fort qu’on y arrive tellement ce milieux est opaque.»

VERS UN NOUVEL ORDRE FISCAL MONDIAL? 

L’OCDE déplore que «les multinationales qui transfèrent leurs bénéfices dans les paradis fiscaux sapent la concurrence par rapport aux entreprises nationales qui déclarent leurs revenus sur place». Pour cette organisation, il existe trop de conventions fiscales bilatérales (3.000 aujourd’hui). Il faut simplifier cette jungle administrative, et elle demande au G20 de faire le ménage et de renforcer les normes fiscales internationales en créant au plus vite l’IISF (groupement des Inspecteurs des impôts sans frontières), une sorte de tribunal pénal international pour les fraudeurs.

Tout cela ne sera pas facile, car la situation se détériore. En 2000, dans la zone OCDE, le taux d’impôt sur les bénéfices des sociétés était en moyenne de 32,6%; onze ans plus tard il est tombé à 25,4%. Grâce à l’évasion! 5,11% des IDE (Investissements directs étrangers) arrivent à la Barbade, aux Bermudes et aux îles Vierges britanniques, des «pays» qui n’ont absolument pas besoin de recevoir de telles sommes pour se développer, contrairement à l’Europe de l’Est, l’Afrique, l’Amérique latine... Il s’agit uniquement d’évasion frauduleuse. Les îles Vierges sont le deuxième investisseur en Chine et les Bermudes, le troisième au Chili. Ces deux poussières insulaires font partie des cinq premiers investisseurs en Russie!

Les Américains, toujours plus pragmatiques, n’ont pas attendu les circonvolutions des instances internationales, de l’Union européenne et des États. Ils ont voté une loi simple, mais redoutable: la FACA (Federal advisory committee act: décret du comité fédéral consultatif). Washington demande à toutes les banques étrangères de lui fournir la liste des citoyens américains qui ont ouvert des comptes chez elles. Si ces dernières refusent, elles n’ont plus le droit de travailler sur le territoire américain. Le premier accord FACA a été signé entre les États-Unis et la Suisse. Berne, qui avait inscrit le secret bancaire dans sa Constitution en 1934, a fait machine arrière avec les Américains et s’apprête à lever son secret bancaire en 2015. À noter que lors d’une votation (référendum) cet hiver, la majorité des citoyens helvétiques se sont prononcés en faveur du contrôle et de la baisse des salaires des grands patrons! Mais cela pourrait-t-il s’étendre au contrôle des 160 milliards d’euros allemands et plus de 110 milliards français bien à l’abri au bord du lac Léman? Du reste, il n’y a pas que la calviniste Genève qui en profite, Zürich aussi, ainsi que le canton du Tessin pour les mafias italiennes. Joseph Zysiadis, député fédéral du Parti du travail, relate: «Il est probable que les grandes banques vont jouer un certain degré de transparence. Mais il y a fort à parier que les comptes secrets les plus gênants ont déjà été transférés vers des petites banques d’affaires et autres fiduciaires beaucoup plus discrètes, comme ce fut le cas pour votre ex-ministre du Budget.»

Alors que l’UE cherche à lutter contre les paradis fiscaux, deux des vingt-sept (bientôt vingt-huit) pays membres traînent des pieds: le Luxembourg et l’Autriche. La Suisse fait figure d’enfant de chœur par rapport au Luxembourg. Quant à Vienne, elle s’en donne à cœur joie avec son minuscule voisin, le Liechtenstein (160 km2, 40.000 habitants), la Mecque européenne de tous les trafics financiers, en particulier pour les mafias de l’Est. Dans ce petit État, on entre dans les banques discrètement, par un parking en sous-sol surveillé par des gardes armés, qui portent aussi vos valises d’argent liquide.

Après les réticences officielles de Vienne et de Luxembourg en avril dernier, Washington a aussitôt menacé ces deux pays d’un FACA. Suivant l’exemple américain, Bruxelles vient de déclarer, il y a peu, qu’elle souhaite mettre en place un FACA européen.

ET POURTANT LES LISTES NE MANQUENT PAS 

En 2008, un informaticien franco-italien travaillant à la filiale genevoise de la banque anglo-chinoise HSBC, Hervé Falciani, fait défection, comme les agents doubles de la guerre froide. Après des pérégrinations entre l’Italie, la France et l’Espagne, il est finalement arrêté du côté de Madrid. La Suisse demande alors son extradition pour «viol du secret bancaire». Extradition refusée en avril 2013 par un procureur madrilène, Dolores Delgado.

L’homme n’est pas parti les mains vides. Il détient une liste de 79.000 fraudeurs, dont 8.230 Français et 2.059 Grecs. Pourtant, il ne s’agit que d’une goutte d’eau dans le lac Léman en comparaison des deux gros poids lourds de la banque suisse: l’UBS (Union des banques suisses) et la SBS (Société des banques suisses), sans compter les filiales et les banques d’affaires sous-traitantes…

La liste arrive rapidement sur les bureaux de Christine Lagarde, ministre de l’Économie, et d’Éric Woerth, ministre du Budget. Sauf que les quasi 8.000 noms ne sont plus que 3.000, à l’étonnement d’un procureur tenace, Éric de Mongolfier. Mais cela représente tout de même 910 millions d’euros de capitaux dissimulés, qui auraient pu rapporter un redressement de 177 millions.

En 2010, alors que l’affaire de la liste s’ébruite, Christine Lagarde communique à son homologue grec les noms des 2.059 fraudeurs de son pays. Pendant deux ans les ministres grecs des Finances, conservateur puis socialiste, ne vont pas révéler l’existence de cette liste. C’est un journaliste d’investigation qui va la publier sur son site Internet. Ce qui lui vaudra 48 heures de garde à vue et un procès, qu’il finira par gagner. Le site grec Zougla publie aussi une liste de trente-six politiciens fraudeurs.

PERTES SÈCHES POUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE 

On estime désormais que la France perd entre 60 et 80 milliards de recettes fiscales par an à cause de cette évasion massive, soit environ 20% du montant total des recettes, alors qu’en 2013 le pays va débourser environ 50 milliards pour le remboursement de sa dette! Quant à l’économie mondiale, d’après l’économiste américain James Henry, il s’agirait de 26.000 milliards de dollars. La moitié de cet énorme magot a été déposée par 90.000 personnes, physiques ou morales. D’après le quotidien La Croix, une poignée de Français dissimulerait 600 milliards d’euros sous les cocotiers, dont près de 400 milliards appartenant à des entreprises (la plupart cotées au CAC40). De toutes ces sommes, entre 110 et 160 milliards dormiraient en Suisse, tout en faisant des petits car placés dans des fonds d’investissement rentables.

Avec ces dépôts dans les paradis, les grandes entreprises ne paient quasiment pas d’impôts: 8% des entreprises du CAC40 ne paient absolument rien. Les Américains ne sont pas en reste: General Electric ne paie que 2,3% d’impôts sur les bénéfices, Google 2,4% et Apple quasi la même chose.

Toutes les grandes banques internationales et les fonds spéculatifs sont présents dans ces paradis. Ainsi, la Société générale y dispose de 91 filiales, le Crédit agricole de 150 et BNP Paribas de 334! Les banques françaises installées aux Caïmans utilisent cette île pour financer, entre autres, les ventes d’Airbus et autre matériel militaire.

En servant prioritairement les intérêts des plus riches –individus, entreprises, banquiers, investisseurs–, les paradis fiscaux nourrissent les inégalités. En offrant des espaces de prises de risques opaques, ils contribuent aux épisodes de dérapages de la finance spéculative, avec de lourdes conséquences en terme de perte d’activité et donc d’emplois.
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Christophe Chiclet - Enquête parue dans FO Hebdo 3080