De moins de 10.000 il y a dix ans, les travailleurs européens détachés en France étaient 145.000 en 2011 (+30% sur un an).
Un niveau inégalé, encore qu’il ne s’agisse que des détachements déclarés, la Direction générale du travail (DGT) estimant le nombre réel de travailleurs détachés entre 220 000 et 330.000. Le trio de tête des secteurs employant le plus de détachés reste inchangé: BTP, entreprises de travail temporaire et industrie. Un engouement patronal qui s’explique notamment par l’utilisation d’une main-d’œuvre plus malléable ou économiquement plus rentable, l’usage de statuts d’emploi équivoques et un différentiel entre les systèmes de sécurité sociale. Pour rappel, la directive européenne du 16 décembre 1996 fixe les règles légales des conditions d’emploi des travailleurs détachés. Elle a été transposée en droit français en 2007 via un décret imposant des obligations aux prestataires de services. Si les cotisations sociales sont acquittées auprès du pays d’origine de l’entreprise prestataire, en matière de droit du travail –salaires et durée du travail notamment– ce sont les lois françaises qui s’appliquent. Encore faut-il que ces droits soient respectés et que les entreprises françaises se plient à l’obligation qui leur est faite de déclarer leurs salariés détachés auprès de l’inspection du travail. Ce qui n’est pas le cas au regard du bilan 2011 de la DGT: non-respect du SMIC, non-paiement des heures supplémentaires voire du salaire lui-même, dépassement des durées maximales hebdomadaires, infractions à la législation en matière d’hygiène et de sécurité, constats d’hébergements précaires (sans eau potable ou salariés dormant dans des caves), prêt de main-d’œuvre, travail dissimulé, organisation de fausse sous-traitance... les dérapages sont légion.
Dans les Côtes-d’Armor, le contrôle d’une entreprise de charpente a permis de constater la mise à disposition de salariés, sous contrats de droit irlandais, par une société irlandaise TWHB, dans le cadre d’une prestation de services internationale. En fait, les salariés étaient recrutés et domiciliés en France, sans être déclarés à l’URSSAF, ni affiliés au régime de Sécurité sociale irlandais, faute justement de ne pas être domiciliés en Irlande. L’activité de l’entreprise étant limitée au territoire français, ces salariés auraient bien évidemment dû être déclarés à l’URSSAF et recrutés sous contrats de travail de droit français.
RECRUTÉS EN FRANCE SOUS CONTRATS IRLANDAIS
Dans l’Eure, les agents de contrôle ont signalé le recours de plus en plus fréquent à des sociétés de travail temporaire, domiciliées à la même adresse que des entreprises étrangères du BTP et proposant à des entreprises du département des mises à disposition de salariés à un coût très inférieur. Avec la crise qui frappe tout particulièrement l’Espagne, les entreprises ibériques vont jusqu’à proposer des conditions financières inférieures de 50% à celles des entreprises françaises. «Dans une profession comme la nôtre, l’élément de variation de cette importance ne peut être que le salaire», s’était alarmée, en juillet dernier, la Fédération FO Construction, qui avait demandé au ministère du Travail de faire respecter les droits des salariés sur les chantiers.
*«Analyse des déclarations de détachement des entreprises prestataires de services en France en 2011» –Direction générale du travail, septembre 2012.
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FAIRE APPLIQUER LA LOI: UNE CONDITION NÉCESSAIRE MAIS PAS SUFFISANTE
Inutile de frauder. La législation sur les travailleurs détachés instaure, en toute légalité, le dumping social entre États membres. Car le problème ne se limite pas au non-respect, par les entreprises, de la directive européenne 96/71 «relative au détachement transnational de travailleurs». Certes, celle-ci a été transposée en droit français par un décret de 2007 qui se révèle plus exigeant que le texte communautaire. Il prévoit en effet qu’une entreprise étrangère prestataire de service qui envoie des salariés travailler temporairement dans l’Hexagone doit leur appliquer les mêmes conditions de travail et de rémunération qu’en France. Mais cela ne concerne pas la protection sociale.
MADE IN BULGARIA
En vertu d’un règlement communautaire, durant les douze à dix-huit premiers mois, la protection sociale –et les cotisations qui vont avec– applicable est celle du pays de la société prestataire. En clair, une entreprise bulgare qui envoie des travailleurs bulgares travailler sur un chantier en France leur appliquera les cotisations sociales en vigueur en Bulgarie, une disposition qui peut être utilisée à des fins de dumping social entre pays et qui défavorise tout particulièrement la France. Voilà pourquoi la chasse aux entreprises fraudeuses constitue, selon l’expression, une condition nécessaire mais pas suffisante. Pour en finir avec la course au moins-disant, FO souhaite prendre le mal à la racine et réclame, depuis plusieurs années, une révision complète de la directive européenne de 1996 dans un sens plus restrictif.
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Articles parus dans FO Hebdo n°3052