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16 mars 2018

Les enjeux de la réforme de l’assurance chômage

Contribution de Jean-Pierre Perché

Ce qui était au départ un projet de « réforme de l’assurance chômage » est devenu un projet de loi « portant réforme de la formation professionnelle, de l’assurance chômage et de l’apprentissage ». Cet amalgame est délibérément destructeur. Ainsi, dans sa « feuille de route méthodologique… », le gouvernement annonce que « le régime d’assurance chômage… doit évoluer d’un régime d’assurance à un régime de protection permettant d’accompagner la mobilité professionnelle. »
Après un premier dossier sur la « réforme de la formation professionnelle », ce dossier aborde la « réforme de l’assurance chômage » qui pose des problèmes spécifiques.

Assurance ou assistance

Les origines de la protection sociale collective
Dès la révolution française de 1789, la loi Le Chapelier (1791) interdisait aux travailleurs toute « coalition » pour la défense de leurs « prétendus intérêts communs », disait Le Chapelier.
Ainsi, les « sociétés de secours mutuel » du compagnonnage étaient dissoutes et interdites. Mais c’est devant le fait accompli que la loi Waldeck-Rousseau, en 1884, reconnaît aux ouvriers le droit d’association, après 93 ans d’illégalité, et de créer des syndicats et des caisses de secours mutuel.
La protection sociale collective n’est donc ni un cadeau, ni une œuvre humanitaire. C’est une conquête ouvrière.

Les négociations de 1958 sur l’assurance-chômage
En amont des négociations, les technocrates de l’époque ont d’abord posé la question de l’opportunité d’un régime d’assurance chômage. Ainsi, Jacques Rueff, économiste, conseiller financier de De Gaulle qui était au pouvoir à l’époque, considérait qu’un régime d’assurance chômage serait lui-même un facteur d’accroissement du chômage.
A contrario, un autre courant de pensée économique considérait qu’un revenu de remplacement en cas de chômage, permettrait le maintien d’un certain niveau de consommation, entraînant ainsi le maintien du niveau de production, donc du niveau d’emploi.
La nécessité sociale d’un revenu de remplacement pour les chômeurs l’emporta finalement.
Le régime d’assurance chômage est devenu le régime de base d’indemnisation des chômeurs. Ce n’est que s’ils ne remplissent pas les conditions d’admission à l’assurance chômage ou s’ils ont épuisé leurs droits à celle-ci, que les chômeurs peuvent percevoir, sous certaines conditions, des allocations de l’état au titre de l’assistance.


Cotisations sociales ou fiscalisation

Autre caractéristique essentielle du régime d’assurance chômage :
Ses ressources ne dépendent pas du budget de l’État, mais sont fondées sur des cotisations assises sur les salaires.
à l’époque de sa création, fin 1958, le régime d’assurance chômage n’a aucun problème financier. Les problèmes commencent en 1964. Dès lors, le régime est confronté à un problème permanent d’équilibre entre ses dépenses et ses recettes, qu’il ne peut résoudre, face à la montée du chômage, que par l’augmentation des cotisations pour préserver son indépendance vis-à-vis de l’État.
Cette situation est aggravée par le fait que les responsables de l’État, qui se posent par ailleurs en censeurs, se sont largement désengagés de l’indemnisation des chômeurs.
La décision de Macron d’exonérer les salariés de leur cotisation à l’assurance chômage, pour compenser l’augmentation de 1,7 points de leur CSG, n’est pas simplement démagogique ; elle engage le processus de la fiscalisation du financement de l’assurance chômage : elle serait financée par l’impôt et tomberait ainsi sous la tutelle de l’État, au détriment des organisations syndicales et patronales.


Convention ou législation

En 1958, lorsque la solution d’un revenu de remplacement pour les chômeurs l’emporta sur l’assistanat, le débat bascula alors sur la nature du système qu’il conviendrait de mettre en place.
Force Ouvrière se battit pour un régime paritaire autonome, fondé sur une convention, dans l’esprit de la loi du 11 février 1950.
Ainsi, le 31 décembre 1958, était conclu entre le CNPF, d’une part, et la CGT-FO, la CFTC, la CGC, d’autre part, une convention créant le « régime d’assurance chômage ». La CGT signa la convention ultérieurement.
Cela donne au régime d’assurance chômage cette autre caractéristique :
les règles d’indemnisation des chômeurs, le montant des allocations et celui des cotisations sont fixés par convention entre les « partenaires sociaux » et non par le législateur.


Paritarisme ou étatisation

Conséquence logique du caractère conventionnel du régime d’assurance chômage :
Les syndicats de salariés et les organisations patronales qui ont signé la convention d’assurance chômage assurent la gestion des organismes chargés de la mise en œuvre du dispositif.
L’État pour sa part, exige des « partenaires sociaux » qu’ils cantonnent le régime dans le versement d’allocations aux chômeurs et réaffirme son monopole sur la gestion de l’emploi, particulièrement la gestion des inscriptions des chômeurs et de leur pointage, confiée aux DDTE, puis à l’ANPE fondée à cet effet en 1964.
Mais le 16 janvier 1979, le gouvernement de l’époque, au prétexte de faciliter les démarches des chômeurs, décident que ceux-ci toucheront leurs allocations auprès d’un guichet unique, allocations du régime d’assurance chômage et aide publique de l’État versée par les directions du travail jusqu’alors, guichet unique tenu par les Assédic.
Puis se développent tous les programmes de coopération entre les Assédic d’une part, les ANPE et les directions du Travail d’autre part.
La connexion des ANPE et des directions départementales du Travail sur les fichiers informatiques des Assédic en 1983 se caractérise sur le plan politique par la mise en place d’un outil de travail commun aux Assédic et à des organismes qui dépendent de l’autorité de l’État.
Petit à petit, le pointage mensuel des chômeurs glisse de l’ANPE vers l’Assédic. Le transfert de l’inscription des demandeurs d’emploi de l’ANPE à l’Assédic a été fait en mars 1996. La fusion Assédic-ANPE a été réalisée en décembre 2008, donnant Pôle Emploi, établissement public administratif (EPA), ce qui était le statut de l’ANPE.
Le processus d’étatisation du régime d’assurance chômage, pour mieux le détruire, auquel Macron tente d’apporter la conclusion, part de loin.
En 1994, l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) est chargée par le gouvernement d’une étude sur les « conditions d’une éventuelle fusion » des Assédic et de l’ ANPE.
L’IGAS affiche deux postulats :
1-L’articulation des fonctions de placement et des fonctions d’indemnisation est un enjeu central du meilleur fonctionnement du marché du travail en France.
2-La nécessité de participer à la politique de l’emploi passe par une « activation des dépenses passives » de l’indemnisation du chômage.
Ces deux points méritent d’être analysés avec une attention particulière.


Liberté du travail et droit au travail

Le code civil stipule : « on ne peut engager ses services qu’à temps ou pour une entreprise déterminée » ; « Le louage de service, fait sans détermination de durée, peut toujours cesser par la volonté d’une des parties contractantes » (Art.1780).
Le code du travail reprend ces principes du code civil : « le contrat de travail conclu sans détermination de durée peut cesser à l’initiative d’une des parties contractantes sous réserve de l’application des règles ci-après définies » (Art.L122-4). Et le code du travail fixe les limites de cette liberté, particulièrement sur le contenu des contrats et les conditions de leur rupture, par des règles qui protègent les salariés contre certains abus.
Le principe de la liberté du travail ayant été établi, quelle place reste-t-il pour le droit au travail ?
Le préambule de la constitution de 1958, reprenant celui de la constitution de 1946, établit :
« Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi ». Dans cette formulation déjà « le devoir de travailler » passe avant « le droit d’obtenir un emploi » et l’article 34 de la constitution de 1958 précise : « il lui (au législateur) appartient de poser les règles propres à assurer au mieux le droit pour chacun d’obtenir un emploi en vue de permettre l’exercice de ce droit au plus grand nombre possible d’intéressés ».
La porte est ouverte à tous les dérapages comme l’emploi « convenable » des années 1990, rebaptisé offre « raisonnable » dans la contre-réforme Macron.
En 1994, une étude réalisée par les services juridiques de l’Unédic sur l’évolution de l’indemnisation des chômeurs dans les différents pays d’Europe indique qu’« en période de crise économique, la notion d’emploi  « convenable » tend à être élargie dans les différentes réglementations, avec pour conséquence l’obligation pour le demandeur d’emploi d’accepter un emploi moins rémunéré et moins qualifié ».
Que reste-t-il de la liberté du travail ? Que reste-t-il de la liberté tout court ?
En effet, prenant acte que dans une économie de type libéral, le droit au travail ne pouvait être effectivement garanti, les partenaires sociaux en avaient tiré la conséquence que les victimes du système devaient obtenir réparation du préjudice subi et percevoir un revenu d’assurance chômage, qu’ils ont décidé de mettre en place eux-mêmes face à la carence de l’État.
Utiliser l’indemnisation des chômeurs comme moyen de fonctionnement du « marché du travail », c’est inverser complètement les principes qui ont présidé à la constitution du régime d’assurance chômage.
On entre de plain-pied dans le concept fumeux d’ « activation ».


« L’activation » des dépenses de l’assurance chômage

Ce processus a été initié avec l’accord du 8 juin 1994, créant les « conventions de coopération » sur une idée de Nicole Notat. Le rapport d’activité 1994 de l’Unédic explicite ainsi : « Dès l’origine de l’assurance chômage, les allocations se situent dans la catégorie des revenus de remplacement : le chômeur les consomme pour vivre en attendant de retrouver un emploi. Il s’agit de dépenses dites « passives ». L’accord conclu le 8 juin 1994 entre les partenaires sociaux comporte la singularité d’introduire les dépenses, non plus seulement dans le circuit de la consommation, mais dans celui de la production. Il s’agit de dépenses dites « actives » ».
Le dispositif, en juin 1994, consiste à reverser à l’entreprise qui embauche un chômeur, le montant des allocations chômage que celui-ci aurait perçues.
Ce système a capoté rapidement, tellement il était contraire à la nature du régime d’assurance-chômage et à la culture des agents chargés de sa mise en œuvre.
Et si le projet du gouvernement est de faire prendre en charge financièrement par l’assurance chômage, la formation des chômeurs, au prétexte « d’activation » de ses dépenses, il n’aura fait que transférer une fois de plus ses carences et ses responsabilités d’État sur cet organisme paritaire de droit privé qu’est l’Unédic.
En même temps, il fait porter aux travailleurs la responsabilité de leur « employabilité », quelle que soit la dégradation de l’économie, avec leur « compte personnel de formation » numérisé, dont ils sont responsables, qu’ils soient en activité ou au chômage.
Mais sans doute compte-t-il faire de l’Unédic autre chose que ce qu’elle est actuellement.