Liberté économique contre droit de grève. L’affaire est loin d’être nouvelle, mais elle vient de connaître un dernier développement à l’échelle européenne.
Le 12 septembre, la Commission européenne a retiré son projet de règlement «relatif à l’exercice du droit de grève dans le contexte de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services». Ce règlement Monti II*, qui aurait fortement limité le droit des travailleurs de mener des actions collectives dans les États membres de l’Union européenne, avait été présenté par Bruxelles en mars 2012 comme un volet de sa réforme de la législation européenne sur le détachement des travailleurs. La CES (Confédération européenne des syndicats) s’est félicitée de ce retrait, tout en soulignant que cette décision de Bruxelles ne résout pas tout, loin s’en faut. En effet, le règlement Monti II aurait gravé dans le marbre** la jurisprudence de la Cour européenne de justice contre le droit d’action collective (arrêts Viking et Laval de 2007), jurisprudence qui elle-même s’appuie sur l’apparente ambiguïté des traités européens. En 2007, la Cour de justice européenne a donné tort au syndicat suédois en conflit avec l’entreprise Viking, qui souhaitait délocaliser en Estonie, puis au syndicat finlandais, qui exigeait que l’entreprise lettone Laval applique la convention collective suédoise à ses employés détachés en Suède.
LA MENACE RESTE AU CŒUR DES TRAITÉS EUROPÉENS
Dans les deux cas, la Cour de justice a jugé l’action collective menée par les syndicats contraire au droit communautaire fixé par les traités, car pouvant «dissuader les entreprises de faire usage de leur liberté d’établissement». Pourtant, la charte des droits fondamentaux, dont le traité de Lisbonne garantit la mise en œuvre, désigne le droit de grève et d’action syndicale collective comme un droit fondamental, faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire dont la Cour de justice doit assurer le respect. Pourtant encore, le droit de grève échappe à la compétence communautaire en restant, en vertu du principe de subsidiarité, du ressort des États. Mais avant tout... ces traités européens stipulent que rien ne doit faire obstacle à «la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux», et donc à la liberté d’établissement des entreprises. «La Commission devrait garantir que les droits sociaux fondamentaux ne puissent pas être limités par les libertés économiques», considère la CES, qui demande donc à Bruxelles de présenter «une proposition de protocole de progrès social à joindre aux traités européens». Ce protocole préciserait notamment que «les libertés économiques et les règles de concurrence ne peuvent prévaloir sur les droits sociaux fondamentaux et le progrès social mais, au contraire, que les droits sociaux doivent avoir la priorité en cas de conflit».
* Mario Monti, actuellement président du Conseil italien, avait fait une première proposition de règlement en 1997 alors qu’il était commissaire européen au marché intérieur.
** Un règlement communautaire s’applique directement et totalement, à la différence d’une directive qui doit être transposée dans les législations nationales.
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Article paru dans FO Hebdo n°3046